L’atelier des corps libertaires

À Pélussin ou à Pau, Pascal Borghi marche, l'œil attentif aux passants. Une femme avance d’un pas aérien. Un homme oscille du bassin. L’un et l’autre ajustent leur distance avec les piétons qu’ils croisent. Chaque signe parle à l’artiste.

Un corps se raconte, même si aucun mot ne sort de sa bouche.

De ses origines italiennes, Pascal Borghi garde le souvenir de rues, de places où évoluaient des corps pétris d’exubérance. Le contact faisait partie des usages, jusqu’à une accolade.

Par contraste, la chorégraphie des corps, en France, le frappe par sa retenue. Une prudence semble figer les pensées, régler le mouvement. Comme si toute une population se lovait dans un même moule.

Dans son atelier, le sculpteur s’ingénie à rendre au corps sa liberté. Chez lui, tout part du bassin. Puis s'élève l’axe que constitue la colonne vertébrale. Les bras, les jambes viendront plus tard.

Cette lecture du corps s’appuie chez lui sur la pratique de l’escrime et du théâtre. Pourquoi mouliner avec les bras pour parler à tort et à travers, alors qu’un bassin pose le personnage ? Une épaule qui s’avance écrit déjà une histoire.

Plus les corps se recroquevillent dans la rue, plus le sculpteur a plaisir à jouer avec les postures. Ses sculptures se déhanchent, se contorsionnent, s’étirent, se vêtissent et se dévêtissent.

Le regard du spectateur fixe le corps, puis se prolonge au-delà de l’œuvre selon deux lignes invisibles dont seul l’artiste maîtrise la direction.

En dépit de ses audaces, l’artiste écarte les positions aguichantes, facilités esthétiques propres aux images médiatiques. De même, il ne cherche pas à montrer des corps en souffrance.

À de rares exceptions près : par exemple, lorsque le sculpteur témoigne de ce que vit un otage, une fois que ses geôliers lui ont recouvert la tête d’une cagoule, menotté les mains derrière le dos.

Parfois, une œuvre est là, juste pour nous rappeler le sens concret des mots guerre et barbarie.

À leur manière, les corps sculptés de Pascal Borghi grattent les apparences pour révéler un paradoxe : plus l’être humain aspire à construire sa liberté, plus il s’encombre de barrières affectives, familiales, sociales. Chacun·e rêve un soir de transgresser les règles. Dès le lendemain, dans sa tête, il rétablit l’état d’urgence.

Plus l’artiste avance, plus il se concentre sur le détail. Un ventre, un thorax ont des reliefs.

Au moment où la censure est de retour dans les musées, les expositions, là où triomphent un design lisse, un art conceptuel, Pascal Borghi montre à quel point le corps se réinvente.

En chaque femme, chaque homme, les émotions creusent leurs ornières dans la chair. Un dos qui se cambre est nourri d’une intention. Quelques sculptures sont montées sur une tige qui oscille au gré du vent, comme en équilibre précaire.

Pascal Borghi, qui a vécu dans un Liban en guerre civile, sculpte des vies qui ne tiennent qu’à un fil. Il a une conscience intime de ce qui grouille dans des corps formatés par les peurs et les clichés. Ses œuvres ont une force politique.

Atelier de Pascal Borghi :

• 4 place de la Halle, 42410 Pélussin
• Atelier ouvert sur rendez-vous

• Pascal Borghi organise des stages de sculpture •