Éloge du yaourt nature

Le yaourt nature reste discret dans les rayons. Il semble dépassé par l’avalanche de produits sophistiqués.

Il n’est plus tendance de déposer un lot de yaourts natures dans son caddie. Ou alors, le consommateur pressé opte pour les yaourts nature sucrés. Un peu par facilité.

Mais le vrai yaourt nature ?

Voici un moment simple et rare à la fois : déguster un yaourt nature non sucré. Un yaourt nature tout seul.

Au fait : tous les yaourts natures se confondent-ils ? Pas du tout. Le parfum, la texture, le goût en bouche diffèrent d’une marque à l’autre.

C’est un peu comme le vin rouge : il existe les yaourts vin de table et des yaourts grand cru.

Prenons trois ou quatre yaourts différents, une cuiller à café, et lançons-nous. Si nos papilles ont la même curiosité qu’un œnologue, nous ne serons pas déçus du voyage.

Attention : simplicité ne rime pas avec rapidité.

Savourer un yaourt nature demande une mise en scène. Fuyons le réflexe du yaourt enfourné en trois cuillerées, à la fin du déjeuner, sur un coin de table. Après les saveurs d’un repas, le yaourt nature paraît bien fade, surtout après un fromage.

Un yaourt nature se déguste à l’écart du tumulte de la journée. Choisissons d’abord un lieu simple et paisible comme un yaourt nature.

Tiens : par exemple, le fond de notre jardin. Ou bien un bon fauteuil devant une cheminée. Ou encore un banc au milieu d’un parc. Ou même par terre, sur un tapis de mousse dans un sous-bois, à la belle saison.

Ouvrons l’opercule et humons le yaourt. Parfum discret, certes, mais inimitable. Les effluves du lait et de ses ferments lactiques font le secret d’un bon yaourt.

Puis glissons délicatement la cuiller dans le pot. Contemplons la manière dont la cuiller plonge dans la substance lisse et blanche du yaourt. Le plaisir pointe déjà le bout de son nez.

Et maintenant, approchons la cuiller de notre bouche. Découvrons votre première coulée de yaourt de la même manière que nous dégusterions la première gorgée de bière.

Chaque yaourt a sa texture propre. L’auteur de ces lignes a sa marque préférée. Mais chacun ses goûts. Son yaourt nature favori (dont il taira la marque) a une texture ni liquide ni plâtreuse. Il glisse en fluidité dans le gosier. Il le rafraîchit juste ce qu’il faut.

On ne mâche pas un yaourt. On ne le boit pas non plus. Nous sommes entre les deux. C’est cet entre deux qui se révèle le plus subtil.

L’art de composer la texture d’un yaourt nature n’est pas donné à tous les fabricants, même de grande marque. Le bon yaourt nature ne remplit pas le gosier comme une crème bien grasse ou trop crémeuse. Il ne glisse pas non plus trop vite dans l’œsophage. Le yaourt nature passe avec grâce et subtilité de nos lèvres à l’estomac.

Mieux vaut savourer un yaourt nature quand il est bien frais : soit sorti du frigo, soit extrait d’une glacière emportée pour la promenade.

Un yaourt nature est d’une simplicité confondante. Il est comme un ami qui ne se prend pas la tête avec des pensées compliquées.

Déguster un yaourt nature en contemplant un feu de cheminée ou un sous-bois est un petit bonheur de la vie. Nos oreilles écoutent le feu crépiter, les oiseaux chanter, tandis que nos papilles savourent une par une chaque cuillerée.

Et si l’envie d’accompagner le yaourt en musique nous démange, alors voici une suggestion : la Gnossienne N° 1 pour piano de Érik Satie.

Un piano solo. Un yaourt nature solo. Mêmes qualités : simplicité, subtilité, légèreté.

Juste un zeste de dissonances qui nous rappellent que le pire serait de devenir un mangeur de yaourt nature blasé, un auditeur fatigué. La Gnossienne N° 1 de Érik Satie dure environ 4 minutes : le temps de déguster un yaourt nature sans se presser, au juste rythme.

Tout seul, le yaourt nature se suffit à lui-même. Il incarne notre besoin de solitude, lorsque le trop plein de monde, le trop plein d’objets, le trop plein de pensées, le trop plein d’accessoires nous encombre.
Redécouvrons le yaourt nature !

PS : si possible, n’y ajoutons pas de sucre…

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