À la forge de Pierre Salanouve

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« Ça ne vaut rien, il faut tout raser ». À la fin du XXe siècle, la forge de Bedous a failli trépasser : parole d’expert. Trente ans plus tard, Pierre Salanouve y fait « chanter l’enclume ». À l’atelier, un portail plus que centenaire renaît. Sous la hotte, un couteau rougit. Mais il s’en est fallu d’un cheveu : un scrupule, ça étouffe n’importe quelle envie. Sauf quand Patricia Traille devine ce qui se trame chez son mari.

Car la forge de Bedous est née en 1929 et en famille. Comme son père et son frère, Louis Traille est charron (1). Mais plus le temps passe, plus il veut travailler le métal. Alors Louis construit sa forge rue Notre-Dame. Dedans il y a une scie à ruban, un rabot, une refouleuse. Après sa retraite en 1985, l’atelier se délabre. Louis décède en 2010, son épouse Léa résiste aux promoteurs. Pendant ce temps, un Aspois piaffe au village : Pierre Salanouve. Aide-soignant à Osse-en-Aspe, le jeune homme a soif de mécanique. Mais voilà : il ne se sent pas à la hauteur. Lâcher le salariat pour créer une entreprise ? Pas simple quand on a deux enfants.

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Mais son épouse a l’oreille fine : elle entend un scrupule qui brûle et qui gargouille. Quel scrupule ? La forge à Bedous, c’est l’histoire de la famille Traille. Le bois. Le métal. Et enfin la carrosserie, quand Louis reste seul en 1980 après le décès de son père. Fixée au mur, il y a encore l'enseigne. Alors Pierre Salanouve se sent tout petit. À vingt ans, l’aspirant mécano se heurta à un mur : les patrons croulaient sous les candidatures. Dès lors une passion reste en jachère. Et quand il réveille la forge en 2025, Pierre a d’abord une pensée pour sa femme. Puis une pensée pour ceux qui, à la même place, chauffèrent le métal.

Quand a eu lieu le déclic ? Peut-être un soir à dîner, quand Patricia cueille une pensée. Alors le couple fait le tour de l’atelier. Au-delà de la poussière, il faut refaire le toit puis acheter un poste à souder. En 2011, les premiers clients sont des éleveurs : Pierre Salanouve répare une remorque puis un marchepied. Pour la forge, c’est plus compliqué : il faut tuber la hotte jusqu’au toit, puis refaire la table avec du ciment réfractaire, du sable, des lauzes de pays. Mais surtout, un artisan tout neuf sait s’entourer. À Sarrance, Henri Paroix est forgeron : il lui transmet un savoir-faire avant de prendre sa retraite. Trois ans plus tard, Pierre est débordé.

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Car avec sa presse hydraulique, sa perceuse à colonne, sa scie à ruban l’homme est devenu indispensable. Maires, artisans, particuliers : tous ont un objet à réparer. Pierre Salanouve saute du portail à l’escalier via le ponton qui enjambe un ruisseau, puis la nacelle du charpentier. Et même la sonnaille : les cloches de vaches et de brebis. L’emprunt de 4 000 € est remboursé. L’artisan gagne son pari : vivre de sa passion. Alors chauffe la forge, chante l’enclume. Le tout sous les yeux d’Anne-Marie sa belle-mère, mais surtout de Léa la grand-mère, celle par qui tout a commencé : elle a offert une couverture toute neuve pour le toit.

Entre deux commandes, Pierre Salanouve travaille un savoir-faire : fabriquer des couteaux. Et là, une forge à pleine puissance lui ouvre « la récré, le meilleur moment de la journée ». D’abord l’artisan éteint la lumière : il a besoin de travailler dans l’ombre pour mieux capter les nuances de couleurs, quand le métal chauffe. Puis il répartit la juste dose de charbon gras. Au fil des minutes et avec l’aide d’un marteau, le métal prend la forme souhaitée. Y compris un arrondi bien façonné. Prochaine étape : apprendre à travailler le cuir pour créer une gamme d’étuis.

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Et quand un client déboule à l’improviste, l’artisan se fait psychologue : quinze ans auprès de publics handicapés lui ont appris à gérer les requêtes, parfois les impatiences : en 2025, Pierre Salanouve ne peut être au four et au moulin. Par ailleurs l’homme de 52 ans aime partir en escapade : à Rocamadour il échange avec un forgeron. Certains soirs il attrape sa guitare - Yaourt est le nom du groupe de rock. Et s’il fait beau dimanche, alors il enfourche sa moto : la mécanique, oui mais sur deux-roues. Ou alors il monte la fête de l’US Aspoise, club de rugby dont il est coprésident. Arrive la récompense : Christophe, l’un des meilleurs forgerons de France, arrive d’Isère pour visiter son atelier.

Alors la boucle est bouclée : bientôt centenaire, l’atelier Traille imagine la relève. Pierre Salanouve fait un vœu : former son successeur, mais garder une place à l’atelier. La forge, la moto, les couteaux : rue Notre-Dame, la flamme refuse de vaciller.

(1) Le charron fabrique des chariots et des charrettes.

• Pierre Salanouve obtient son CAP de mécanicien entretien en 1990, puis son BEP maintenance des machines industrielles en 1991. Il ouvre son atelier à Bedous en 2011.

• En 1995, il suit une formation pour devenir aide médico-psychologique pour des publics handicapés.

• Il a travaillé dans deux structures d’accueil pour handicapés, à Osse-en-Aspe puis à Bedous.

• Il a restauré l’atelier Traille à partir de 2010, puis il a débuté comme artisan en 2011.

• La forge de Bedous a gardé portes closes durant trente années avant de rouvrir en 2011.

• En Vallée d’Aspe, trois passerelles sont signées Pierre Salanouve : à Escot, elle enjambe un ruisseau. Idem vers le lac d’Estaëns. À Bedous, la passerelle en aluminium est bien utile à la station d’épuration.

• Le groupe Yaourt dans lequel Pierre Salanouve joue comme guitariste comprend deux guitares, une basse, une batterie et un chanteur. Les répétitions ont lieu dans le garage de Pierre à Bedous.

• L'US Aspoise, club de rugby, a trois coprésidents dont Pierre Salanouve. En tant que bénévole, il assure le petit entretien des locaux, fait le soigneur pendant les matches. Et depuis 2024 il est responsable de la fête annuelle du club : deuxième week-end d’août. Il invite des musiciens en alternant rock et chants béarnais. Au cœur de l'été, la fête a du succès auprès des vacanciers.

• Repères de famille : l'épouse de Pierre Salanouve s'appelle Patricia Camps-Traille. Laquelle a pour parents Anne-Marie Traille et Henri Camps, grands-parents Léa et Louis Traille.

• Solidarité : dans la Vallée d'Aspe, le succès de l'épargne solidaire. En tant que créateur d'entreprise, Pierre Salanouve a reçu un prêt de l'association Aspe Solidaire pour lancer son projet. Article de Patricia Marini dans Sud-Ouest du 9 mars 2023.

• Page publiée le 23 décembre 2024. Textes, photographies : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Tous droits réservés.