Savoir fer en montagne

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À 68 ans Salvador Sanchis a la retraite active : il chauffe, il forge, il façonne l’acier et le cuir. Pourtant il a attendu 32 ans avant de muer un rêve en réalité. Dans le Gard en 1980, la coutellerie reste en jachère tandis qu’il vend des légumes sur un marché puis fait le service au bar. Dans sa tête trotte le jugement que deux ou trois profs rendent sur un ado aussi combatif que turbulent : « Pas bon pour faire des études ». Alors il regarde ses mains.

En France, peut-on être manuel et avoir l'estime de ses contemporains ?

Or à Bedous l’acier rougit depuis 2010, année où Salvador Sanchis emménage avec son épouse Isabelle. Et tandis que l’homme achève sa carrière comme barman au Permayou — hôtel-restaurant à Accous — une petite forge manuelle trouvée dans une grange rallume une envie. En un éclair, l’apprenti retrouve ses sensations. Quinze ans plus tard le couple crée son site de vente en ligne, puis enchaîne marchés artisanaux et salons de chasse. En Vallée d’Aspe ou en Sologne, Salvador Sanchis expose ses créations. Sur la table un couteau sort de l’ordinaire : il est en ivoire de phacochère, un sanglier d'Afrique.

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Car l’artisan met des valeurs derrière chaque création. D’une part, il se fournit en France via des entreprises ayant pignon sur rue : les cuirs précieux comme celui de crocodile sont issus d’un animal mort de façon naturelle, certificat des douanes à l’appui. D’autre part il voit le couteau comme un outil, et non comme une arme. Couper la ronce qui entrave le randonneur. Ouvrir un ballot de paille. Découper le pain. Salvador Sanchis résume : « En montagne, il est bon d’avoir un couteau sous la main ».

D’où son attention à la main du client : large ou menue, il faut un manche qui rende le couteau facile à manier. En bois de cerf ou en noyer, le pratique et le beau fondent un couteau conçu pour durer. De fait, Salvador Sanchis met entre 3 et 45 heures pour fabriquer l’outil. Simple : le couteau d'office. Ardu : le couteau qui se plie. Face au laminoir, un artisan réfléchit.

Et se téléporte dans le passé. À 14 ans un collégien en échec est orienté vers un CAP de serrurier. Un prof ayant l’œil vif repère son habileté. En juin Salvador fait partie des trois heureux élus qui, l’année suivante, bifurquent vers un CAP forgeron d’art. À son tour un maréchal-ferrant dont l’atelier jouxte le gîte des vacances lui met le pied à l’étrier. Trois ans plus tard, pourquoi le jeune homme s’engage-t-il dans l’armée ? Au régiment parachutiste de Pau, le jeune homme nourrit sa flamme de guerrier. Mais la vie parfois, c’est faire des loopings : vingt ans plus tard, derrière le bar, il se coltine les incivilités. À Nîmes un serveur doit lever l’ancre : impuissance face aux trafics de drogue, à la misère sociale, aux bagarres du samedi soir.

Et en Vallée d’Aspe ?

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Juste en face de la maison Sanchis, le Layens culmine à 1 675 mètres d’altitude. En hiver, le soleil se cache dès 15 heures. Et derrière la maison il y a 2 hectares de forêt : il faut couper du bois pour se chauffer. Face à plus grand que soi, Salvador Sanchis songe : « La montagne invite à l’humilité ». Mais aussi à l’effort : même quand 5 % des lames partent à la déchetterie, car ratées, l’homme retourne à l’atelier. Mais un jour il s’offre une récréation.

Entre deux couteaux, Salvador Sanchis crée une œuvre sur cuir. Faune, flore : les paysages de montagne lui donnent l’inspiration. Cette fois il n’y a rien à vendre, juste un acte pour remercier les Pyrénées. Et c’est ainsi que l’homme voit sa retraite : à l’ouvrage dans l’atelier ; la marche alerte sur un sentier. En chemin il songe à l’homme qui, six années durant, leur loua son gîte à Accous en été : lui aussi lui mit le pied à l’étrier. À l’évocation de son décès, Salvador Sanchis marque un silence.

Puis lâche : « Deux ou trois piliers dans sa vie, ça donne envie de progresser. Bientôt, j’espère faire encore mieux à l’atelier. Travailler sa passion, ça empêche de vieillir. Ou du moins d’y penser ».

* Backstand : ponceuse fixe à bande abrasive.

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Salvador Sanchis en coulisses :

• Il est titulaire d’un CAP forgeron d’art obtenu en 1976.

• Il se fournit en acier de qualité auprès d’une entreprise située à Thiers dans le Puy-de-Dôme.

• Pour le manche, il travaille avec du bois de mue de cerfs, mais aussi de l’if de Lescun, du hêtre aspois, de l’os de bœuf ou de cheval. Autres bois utilisés : buis, rosier, pommier, noyer.

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• Page mise en ligne le 9 octobre 2025. Texte, photographies : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Tous droits réservés.