La balade du nonchalant

• Image en vignette : les lignes de la main photographiées par Jessica Genetel.

Jeudi 15 février 2018, Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air-France, remet son rapport sur l’avenir du transport ferroviaire au Premier Ministre Édouard Philippe. Parmi les mesures proposées : supprimer les petites lignes déficitaires qu’utilisent chaque jour 3 % des usagers du rail.

Cette approche comptable du transport et des mobilités caractérise une époque : tout doit être utile et rentable sur-le-champ.

Le démontage des voies ferrées a débuté dès les années 1960. Bientôt, les rails ne relieront qu’une poignée de métropoles et leurs banlieues.

Si Jean-Cyril Spinetta menait plus loin sa réflexion, il découvrirait que le bilan financier de la route - accidents, pollution, construction et entretien du réseau - se révèle bien plus lourd que la dette de la SNCF. En 2008, le coût de la route s'est élevé à 50 milliards d'euros. En 2017, les accidents de la circulation ont coûté 17 milliards d'euros à la collectivité, soit 40 % de la dette cumulée de la SNCF.

Une petite ligne ne sert à rien : vraiment ? Elle économise des vies humaines. Elle préserve l’atmosphère. Elle offre du temps libre. À 90 km/heure entre Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port, le voyageur lit. Il écoute de la musique. Il contemple un paysage. Il somnole.

Paradoxe : une petite ligne fait gagner du temps. Avec les outils numériques du XXIe siècle, un étudiant, un salarié, un entrepreneur travaille au lieu de tenir un volant. À condition que le train dispose de prises électriques à côté de chaque siège.

Chaque existence a besoin de petites lignes : celles qui font des méandres dans le cerveau. Elles sont d’autant plus vitales qu’elles font respirer un corps humain. Elles soulagent un individu soumis à de fortes pressions.

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À la prochaine bretelle, quittons l'autoroute des actes et des pensées. Une petite ligne, c'est un temps durant lequel le corps et l’esprit se ressourcent. Une petite ligne est un sentier où il fait bon flâner. Une petite ligne est un atelier, un théâtre de poche, un mur d’escalade, un piano, un roman, un verre de vin. À chacun ses goûts.

Les massages ont-ils une place sur la carte des voies de communication ? Problème : un massage, c’est lent. Une heure. Parfois deux. Allongée sur la table de massage, la personne a lâché son smartphone. Elle s’est retirée du monde. Elle musarde hors des notifications. Elle snobe la Wifi. Elle plonge dans le nuancier des ressentis.

Pire : les massages ne servent à rien. Quoi qu’affirment les experts du toucher, les massages n’ont aucun pouvoir. Ils ne font ni perdre du poids, ni disparaître une angoisse, ni oublier une maladie. Les massages ne guérissent de rien, sauf à cueillir un plaisir.

Quoi ? Se faire du bien une heure durant tandis que partout sur la planète ça court, ça calcule, ça se chamaille ? Les massages ont un petit côté déroutant.

Un dilettante ouvre la carte. Il voit des autoroutes. Il voit des lignes de TGV. Un capitaine d’industrie, les yeux rivés sur une calculette, ajoute du bitume par-ci, retire un bout de rail par-là.

Le dilletante s’approche de la carte jusqu’à y coller le nez. Alors il découvre les petites lignes : celles qui irritent comptables et financiers. Il les hume. Il sourit.

Tant que les petites lignes irrigueront un être humain comme elles irriguent un pays, un bien-être attendra le voyageur sur le quai. On a beau avoir un caractère indépendant, qu’il est doux d’être attendu à l’arrivée.

. . .Quelques petites lignes au départ des régions Occitanie et Nouvelle Aquitaine à (re)découvrir avant qu’elles ne ferment :

• Le Cévenol : Nîmes - Clermont-Ferrand
• L'Aubrac : Béziers - Clermont-Ferrand

• TER Bordeaux - Mont-de-Marsan
• Pour les lignes Angoulême-Limoges et Rodez-Millau, c’est trop tard : elles ont fermé en 2018

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Point de vue mis à jour le 24 avril 2019