Un trésor en Vallée d'Aspe : feuilleton en cinq épisodes publié en août 2025.
①
« Vous n’auriez pas entendu parler d’un trésor dans la Vallée ? »
À la boulangerie, au supermarché, à la boucherie, chez l’épicier : depuis quelques jours une touriste aux lunettes fumées va de village en village, une question au bord des lèvres. Elle fixe son interlocuteur. Elle parle bas. Elle hoche la têete quand une éleveuse lui tapote l'épaule : ça va j'ai compris, voici du pain, une tomme de brebis, ça vous fera un bon repas.
Mais à Bedous une serveuse note que la vacancière repousse son dessert à la moitié. Plateau à la main, l’employée suit des yeux la cliente qui, après avoir enfilé une paire de gants, s’en va rôder derrière la gare. Un œil à droite, un œil à gauche : elle se faufile dans le soupirail qui mène à la cave. Alors des Aspois aux cheveux blancs se souviennent : durant la Deuxième guerre mondiale, de l’or nazi transitait par ici.
Et bien après minuit, on l’entend sous terre frapper aux murs avec un maillet. Au lieu d’appeler les gendarmes, le couple de gérants laisse faire avec le sourire : les jours passent, la pensionnaire garde la chambre Bugada. Et c’est un spectacle que de la voir réapparaître à l’aube, les cheveux en bataille, la gabardine couverte de poussière : après un bon petit-déjeuner, elle monte se coucher.
Mais le jour où elle descend à la cave avec une perceuse, le patron met le holà.
Dès lors la touriste élargit ses recherches : sécateur à la main, elle franchit le heurtoir au bout du quai. Après avoir contourné deux arbustes, elle suit à la trace la voie ferrée. Pas celle, rutilante, qui mène à Oloron-Sainte-Marie — du moins si SNCF a train et conducteur sous la main. Mais celle, rouillée, qui s’enfonce dans la brousse : cap sur l’Espagne et ses tapas. Avec patience la vacancière coupe une fougère, deux ronces, trois orties. Elle fouille elle fouille, quitte à buter sur une traverse en bois mal fixée. Une heure plus tard, elle pile à Accous : sur la rocade se croisent deux poids lourds, l’odeur du gasoil lui picote le nez.
Main en visière elle scrute la plateforme ferroviaire qui repart vers le sud, de l’autre côté de la RN 134.
Alors elle fait un long détour puis reprend sa quête : le tunnel d’Esquit l’avale juste avant une ondée.
Au même instant, un touriste en bottines rouges et chapeau à plume entre à Bedous par le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il file droit à la crémerie, désigne une tomme puis se penche vers la marchande : « Vous n’auriez pas entendu parler d’un trésor dans la Vallée ? »
Cette fois, les Aspois à cheveux blancs, bruns, bleus commencent à s’inquiéter.
Car comme en Écosse, le surtourisme débute parfois à cause d’une légende. Au sud d’Inverness : le monstre du Loch Ness. Au sud de Bedous : un trésor. Monstre ou trésor la rumeur se répand, puis auberges et chambres d’hôte sont prises d’assaut. Or le bouche à oreille s’interrompt dès qu’un chasseur d’Urdos retrouve l’éclaireuse à lunettes fumées, ou plutôt ses habits : à la sortie sud du tunnel hélicoïdal, la femme a disparu.
Au total et en un mois, quatre touristes suivent le même itinéraire. Ils coupent, ils fouillent, puis ils s’évaporent dans le tunnel à spirale.
D’après l’article qui paraît dans La République des Pyrénées, les quatre explorateurs ont un point commun : dans les vêtements que l’on retrouve éparpillés au viaduc d’Arnousse, il y a une carte bancaire. Et si l’on compare leurs derniers achats, on découvre que tous se sont rendus dans chaque commerce de la Vallée. Et face à la pâtissière qui ouvre la fenêtre puis leur tend une tarte au citron meringuée, et face au barman qui penche le verre puis leur verse une ambrée, ils ont une question au bord des lèvres : « Vous n’auriez pas entendu parler d’un trésor dans la Vallée ? »
Mais il y a un cas particulier : au salon de coiffure À un cheveu près, en fin de journée, les quatre clients ont exigé une teinture végétale aux couleurs de l’arc-en-ciel. Soit deux heures d’art et de technique, mèche par mèche. Au point qu’à 19 heures, l’une des deux coiffeuses s’écroule dans le siège massant dédié aux shampooings. Elle se voit en sueur dans le miroir. Elle s’offre trois gorgées de bière. Elle monte le son quand Iggy Pop met le feu. Elle se renverse un pot de garance puis de rhubarbe dans les cheveux : « ce métier Corinne, c’est un truc à s’arracher les cheveux ».
Dès lors l’enquête de gendarmerie consiste à résoudre une équation toute simple : « Pourquoi quatre individus se sont-ils dotés d’une parure végétale, puis ont disparu dans un tunnel à spirale ? »

②
Au sud d’Urdos, le tunnel hélicoïdal de Sayerce mesure 1 792 mètres. Aucun train ne l’a emprunté depuis le 27 mars 1970, date à laquelle dix wagons de céréales ont déraillé puis emporté le pont de l’Estanguet. Au printemps des explorateurs de friches ferroviaires fouillent les buissons, en quête d’une paire de rails. Ça y est, la voici, face au quartier Lourbu. Après avoir vu deux barres en métal pendre dans le vide, gave d’Aspe en contrebas, les chercheurs de frissons entrent dans la montagne avec une lampe frontale. Aucun n’en ressort avec des mèches aux couleurs de l’arc-en-ciel. Dès lors une patrouille de gendarmes s’enfonce à son tour dans le tunnel. L’un brandit une lampe torche. L’autre tient en laisse un chien renifleur. À peine la patrouille émerge-t-elle côté sud que le brigadier reçoit un appel : cambriolage à Etsaut, le maire demande à vous parler.
Mais comme le véhicule des forces de l’ordre est stationné en contrebas de la route nationale, à l’autre bout du tunnel, le quatuor doit refaire la spirale dans l’autre sens. Soit vingt minutes au pas de charge. À mi-parcours la gendarme adjointe — celle qui est arrivée il y a trois mois en Vallée d’Aspe — se fige puis tend l’oreille : elle croit avoir entendu glousser sous la voûte. Vite elle braque sa torche : ici un plant de champignons ; là une niche de secours. Un filet d’eau fait ploc ploc ploc entre deux rails.
Soudain l’ampoule de sa torche se met à clignoter. Une seconde plus tard, la gendarme se fond dans l’obscurité. Et puisque les collègues ont pris de l’avance elle reste droite, à l’affût du moindre bruit. « Un homme a ri » songe-t-elle mais elle corrige aussitôt : « Non, un homme et une femme ». Faute de 5G dans le tunnel, elle renonce à appeler ses collègues. D’un doigt elle active la lampe de son smartphone. Sur sa tête crie une chauve-souris. À ses pieds gémit une traverse en bois. À la sortie nord elle trouve le véhicule, mais pas ses trois collègues. « Eux aussi se sont envolés ? » s’inquiète-t-elle aussitôt, d’autant que les portières sont verrouillées. Fausse alerte : le brigadier et ses collègues ont marché jusqu’au site où deux rails forment un hamac en métal. Avec la pluie des jours précédents, ils baignent dans le gave d’Aspe. « Quand la SNCF va-t-elle poser un grillage ? gronde le chef de la patrouille. Un jour, tout ça finira mal. »
À Etsaut sa prophétie se concrétise : le maire est sur les charbons ardents. Au café-restaurant Le randonneur, une seule conversation unit les habitants.
Le premier, l’épicier du village fait sa déposition.
Selon son témoignage, un touriste en sac à dos qui prétend faire le pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle lui a acheté tout son stock d’ampoules. Mais comme cela ne devait pas suffire, la nuit suivante il entre à l’école, puis au gîte d’étape, puis à la mairie. Quel forfait le pèlerin a-t-il commis ? Il a volé toutes les ampoules, y compris à l’hôtel des Pyrénées dont l’activité est en sommeil. À leur tour des habitants portent plainte : à la cuisine, à la salle de bains, parfois même dans la chambre à coucher, des ampoules ont été retirées. À quoi servent soixante ampoules quand on dort à la belle étoile, avec un croissant de lune pour s’éclairer ?
Le lendemain, la gendarmerie de Bedous ne sait plus où donner de la tête : à Borce et à Urdos, on a volé des piquets d’acacia. Clôtures gisant à terre, vaches et chèvres fuguent par la voie romaine puis trottinent sur la route nationale, cap sur l’herbe tendre aux Forges d’Abel. D’où un embouteillage qui remonte jusqu’au tunnel du Somport : par sécurité, la Guardia Civil a fermé la frontière.
À leur tour disparaissent des panneaux de signalisation, puis deux toilettes sèches à Orcun et à Esquit.
Dès lors la gendarmerie de Bedous reçoit une patrouille en renfort. Ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, elle reçoit des plaintes toujours plus étranges. Ici l’on a volé du bois de charpente, là de la ferraille. Et même un fût de bière, deux tabourets, trois machines à café. Très vite le brigadier se focalise sur quatre individus en tenue louche qui remontèrent deux rails à pied. Car s’ils ont visité chaque village, s’ils sont entrés partout, s’ils ont posé des questions — en réalité, la même question —, c’était avec un mobile : repérer puis voler. Oui mais pourquoi voler des ampoules ? Pourquoi voler des piquets d’acacia ? Pourquoi voler de la signalétique, du bois, du fer, et même des toilettes dénuées de chasse d’eau ?
Et surtout, pourquoi hisser le bric-à-brac jusqu’au tunnel hélicoïdal, puis se fondre dans les ténèbres à spirale ?

③
À la gendarmerie de Bedous chauffée à blanc, Audrey est une professionnelle toute neuve : elle est née à Paimpol, elle a fait ses classes à Tulle, elle a trois mois d’ancienneté en Vallée d’Aspe. C’est pourquoi elle a des scrupules à avouer : « Chef, j’ai entendu rire dans un tunnel ». Alors elle se tourne et se retourne dans son lit : que faire avec un indice aussi mince, aussi subjectif, aussi dérisoire ?
D’autre part elle a une intuition : on rit sous cape dans un tunnel, on rit sous cape en Vallée d’Aspe. Du moins ici et là. Or une gendarme de 23 ans à l’oreille fine capte une note légère, puis un silence qui en dit long.
Et puisque l’adjointe est inconnue en Haut-Béarn, elle se pique au jeu à son tour. Boire une mousse au comptoir. Changer de caisse au supermarché. Devenir fan de yaourts fermiers. Souhaiter plein d’anniversaires avec une tarte choco-pralinée. De boutique en boutique Audrey devise avec elle, puis avec lui. Bilan de la tournée : les commerçants vont bien. La gendarme a même l’impression que d’aucuns ont un petit air émoustillé, comme s’ils guettaient une bonne nouvelle. Certains tournent le visage vers le sud en souriant. Or le commerçant satisfait de son sort est une perle rare dans les années 2020 : chômage, inflation, achats en ligne font fuir les clients. Et le salon de coiffure ?
Le premier jour de ses vacances, Audrey s’offre une teinture végétale.
Face au miroir, la coiffeuse lui montre un catalogue de modèles. Ici les plantes à indigo servent à foncer. Là les plantes anthraquinones servent à cuivrer. Il y a même des plantes flavonoïdes qui servent à blondir. Garance, brou de noix, henné, nous avons toutes les nuances pour vous réjouir. La cliente fait la moue. Elle feuillette le catalogue. Soudain, elle braque son regard dans les yeux de l’artisane : « Faites-moi une coiffure arc-en-ciel ».
Touché : les paupières de la coiffeuse ont cillé.
Et tandis que le crâne d’une gendarme devient un terrain de jeu, fleurit une conversation. D’abord à mots feutrés, puis de plus en plus animée. À 23 ans Audrey a peu d’expérience, mais elle a appris une chose : pour cueillir une information, ne jamais aller droit au but. Pendant que la coiffeuse jongle avec une mèche puis une autre, la cliente jongle avec les questions. Ça fait longtemps que vous faites de la coiffure végétale ? Vous pouvez faire toutes les couleurs souhaitées ? Quelle teinte est la plus difficile à appliquer ? Et la coiffure arc-en-ciel ? Vous êtes la cinquième cliente à me la demander, répond la coiffeuse en attrapant le pot de curcuma. Mince alors, je croyais être la première à y avoir pensé. Oui mais les quatre clients avaient un point commun : c’étaient des chasseurs de trésor. Pardon ? Oui vous m’avez entendue, ils séjournent en Vallée d’Aspe pour un trésor. L’une a sondé le sous-sol de la gare à Bedous, celle qui abrite un hôtel-restaurant. Un second a fouillé le fort du Portalet. Une troisième a fait des trous dans l’enclos de l’ours Diego au parc animalier. Le quatrième a visité de nuit notre salon. Pourtant c’est une maison sans histoire. Mais son histoire l’a intrigué. Il me l’avoue alors que je lui prodigue un soin aux algues. « Mais je n’ai rien volé » promet-il en tendant sa carte bancaire. Pour se faire pardonner, il ajoute un pourboire.
Et après ces quatre fouilles infructueuses ?
Car Audrey a une hypothèse : les recherches à Bedous puis à Parc’Ours ne sont que diversions. Un quatuor crée de toutes pièces une rumeur. Il oriente Aspois et curieux dans une mauvaise direction. Mais tôt ou tard, il cambriole. Cela dit, les commerçants gardent un excellent souvenir de leur passage : parfois le quatuor achète au lieu de voler. Mieux : il raffole de la tarte au citron meringuée. Parfois même il en prend deux. Gentlemen cambrioleurs, murmure Audrey en tendant sa carte bancaire. Voyons : quel est le fil conducteur de leurs larcins ?
Au coin de pêche à Bedous, la gendarme en probation entend siffler le train.
À petite vitesse, un autorail sort du tunnel d’Araou. Mains sur les hanches, Audrey compte trois voyageurs. L’un d’eux lui fait coucou à travers la vitre. Le train siffle une seconde fois avant de franchir le passage à niveau qui jouxte le terrain de rugby. Encore quatre cents mètres avant le heurtoir. « Et si le conducteur oublie de freiner ? » imagine une fonctionnaire rattachée au ministère de l’intérieur.
D’un fantasme jaillit une idée.
Au bout du quai à Bedous, Audrey hésite. En levant la tête, elle avise une caméra fixée à un poteau. Et puis non, il y en a deux : toute la longueur du quai est sous contrôle. Une gendarme hors la loi, ça fait quoi ? songe-t-elle en enjambant la barrière de protection. Une seconde plus tard, elle foule les premiers mètres de la friche ferroviaire. Un parfum d’aventure la grise : avec parka et capuchon elle va affronter la ronce, puis quatre fantômes lourdement équipés. Voici Suberlaché. Bientôt Accous.
Soudain elle a un doute : pourquoi ai-je laissé mon arme de service à Bedous ?

④
Juchée sur la plateforme ferroviaire, Audrey domine le paysage. À droite, un foyer pour publics handicapés. À gauche un hôtel, une école de parapente, un supermarché. Peu après elle longe une ancienne maison de garde-barrière. Mais cinq cents mètres plus loin, elle pile : en contrebas, véhicules et camions vont et viennent sur la chaussée.
Large détour : la gendarme reprend son exploration rive gauche du gave, peu avant le tunnel d’Esquit. Mon premier tunnel toute seule ! songe-t-elle avec un brin d’excitation. Mais l’expérience se révèle monotone : ni fantôme, ni ours, ni train sous la voûte. Par chance et si l’on excepte le modèle hélicoïdal, aucun tunnel ne fait plus de 1 kilomètre. Peu avant l’Estanguet, un troupeau de vaches l’observe dans un pré. Mais la voici déjà sur le lieu de l’accident : 27 mars 1970, ci-gît un train de céréales, la ligne ne s’en remettra jamais. À nouveau il faut faire un détour : cap sur le carrefour de Lescun.
Jusque-là, tout va bien.
Même en la voyant de loin, la gare de Lescun-Cette-Eygun fait frissonner Audrey. En papotant dans un café, elle a découvert qu’il y a trente ans un homme appelé Eric Pétetin y créa La goutte d’eau, lieu alternatif où l’on chantait, buvait, s’aimait, parfois aussi se piquait. Avec un mort à la clé. Si elle avait été gendarme en l’an 2000, elle lui aurait passé les menottes : l’homme manifesta, puis sabota du matériel de chantier. À l’époque, le tunnel routier du Somport divisait la Vallée. Aujourd’hui, tout le monde l’emprunte sans y penser. Un peu plus loin, elle avise une barre de métal couchée. Jadis la SNCF coupa le rail avec un motif : « trafic interrompu pour une durée indéterminée ». En fait le train n’a plus jamais sifflé. Alors l’entreprise ferroviaire a poussé le zèle jusqu’à scier tous les poteaux à la base : ceux auxquels les câbles électriques étaient fixés. Mais voilà le tunnel suivant : celui de Broca.
Et soudain, tout change : ici la voûte est éclairée.
Oh, à peine, mais assez pour que la lampe torche devienne inutile. Fixées en hauteur, une ampoule puis une autre balisent l’itinéraire. Ici la gendarme avise un parapet de bois en construction. Là une signalétique déjà peinte. Ailleurs une fresque sur le thème du train. « On dirait un atelier » souffle-t-elle en admirant la force du trait. Voilà un mystère résolu : on vole pour fabriquer, et même pour créer. Et si je croisais un ouvrier ? Mais dans le tunnel de Sens puis d’Etsaut, le silence règne. À la sortie sud de Cette-Eygun, une fermière stocke du foin sur la voie ferrée. Au jaune paille succède la couleur rouille : un pont ferroviaire enjambe la voirie communale. Gare d’Etsaut, tout dort : l’antenne locale du Parc national des Pyrénées n’ouvre qu’en été. Sur la gauche, Audrey repère les stigmates du déluge, celui qui ensevelit le centre du village dans la nuit du 6 au 7 septembre 2024. Mais à cette heure du jour, l’exploratrice a faim. Prendre une crêpe à l’auberge de l’ours à Borce ? Pas de chance : une seconde fois, la route nationale barre la voie ferrée. Juchée au-dessus de la rivière, la gendarme tire un sandwich de son sac à dos puis admire le paysage : les méandres du gave d’Aspe, c’est sacré.
Mais sa plus grande frustration au cours du voyage, c’est de louper le Portalet et son fort accroché à la roche. Car les tunnels s’enchaînent dès que se resserre la Vallée.
Et voilà Borce et sa centrale hydroélectrique, puis Urdos et son camping, celui qui a survécu au déluge. Cette fois Audrey hume le parfum de l’aventure : le tunnel hélicoïdal est proche, le trésor je vais trouver.
Alors la gendarme remonte la fermeture éclair de son blouson, puis enfile une paire de gants : que l’on y rie ou que l’on y pleure, le tunnel à spirale aspire une guerrière qu’un secret fait palpiter.
Avant de rejoindre le porche côté nord, il faut faire un détour : pas question de marcher sur le hamac en métal, d’autant que l’eau du gave clapote bruyamment entre les rails. Pluie oblige, une mare de boue se franchit avec des bottes. Ça y est : la gendarme fait face à un monument achevé en 1925.
À peine a-t-elle franchi le seuil qu’Audrey s’immobilise : ce soir il y a foule dans un tunnel désaffecté.

⑤
La réception commence dès que la courbe du tunnel rend l’entrée nord invisible. Devant, derrière, quatre gardes du corps encadrent la visiteuse. Ainsi, le quatuor fantôme l’attendait. Mais au-delà de la courbe, l’on festoie à qui mieux mieux : autour de la table il y a la pâtissière, le barman, la crémière, l’épicier. Et même la plus jeune des coiffeuses. Ainsi tout le monde en Vallée d’Aspe a papoté avec Audrey avec un but unique : le jour venu, la mettre sur la bonne voie. Les premières confidences données par la fenêtre, tandis que la jeune femme lorgne une pâtisserie. Les suivantes distillées dans un fauteuil, alors qu’une mèche prend une teinte cramoisie. Bonne joueuse, la gendarme mord dans un crumble avec entrain. À la bouchée suivante, la voûte s’éclaire : pour une militaire de 23 ans, voici le plus montagnard des sons et lumières. Les leds dansent sur les murs. Alain Souchon interprète Un terrain en pente. Mais déjà il faut repartir. Le tunnel à spirale monte en pente douce dans la montagne. À gauche toutes ! chantent les compagnons après deux verres de cidre. Après avoir tourné en boucle, la petite bande aura pris 600 mètres d’altitude. Et s’il n’y a pas de sortie ?
Car la gendarme commence à trouver le temps long.
Le tunnel hélicoïdal de Sayerce mesure 1 792 mètres, soit environ vingt minutes de marche. Or le tunnel tourne et tourne, comme si Audrey faisait trois fois le tour de la montagne. Et ça monte, et ça monte, au point que la gendarme doute : sont-ils encore sur Terre ? Peut-être ont-ils pris un aller simple pour Saturne. Ou alors beaucoup plus loin, quelque part dans la Voie lactée.
Mais non : voici la sortie. Surprise par la pleine lune, Audrey met ses mains en visière. Au-delà du seuil il y a une voie ferrée qui brille avec des traverses en béton, des poteaux, des caténaires, des câbles électriques, et même un train à l’arrêt juste avant le feu rouge. Voici l’avenir de la Vallée, chuchote derrière elle la femme aux lunettes fumées. L’homme retire son chapeau à plumes puis prend des mesures : le train de marchandises fait 450 mètres. Vingt exemplaires circulent nuit et jour dans la Vallée. Mais surtout, Audrey voit des grillages partout : ils protègent la voie ferrée. Car désormais, les passages à niveau n’existent plus : il faut faire plein de détours pour musarder, mais aussi pour travailler.
« Ai-je voyagé dans le futur ? » s’interroge-t-elle en reculant : le train siffle puis s’ébranle, le convoi gémit sur les rails. Alors la femme enlève ses lunettes : « À force de tourner et de tourner dans le tunnel à spirale, vous avez pris vingt ans. Voici à quoi ressemblera la Vallée d’Aspe si le train est de retour. Pas le petit train d’antan, mais un couloir ferroviaire à voie unique. Il relie Saragosse à Artix 365 jours par an ».
Et si je tourne deux fois dans le tunnel à spirale, cap vers le nord ?
« Alors vous prendrez dix ans, mais après avoir renversé la table : à la place de convois de marchandises, vous verrez une piste en terre battue, des toilettes sèches, mais surtout deux triporteurs et dix vélos ». Alors Audrey se tape le front : le vol d’ampoules, c’était pour éclairer les tunnels. Le vol de bois, c’était pour fabriquer des balustrades. Le vol de panneaux, c’était pour guider les cyclistes vers le bar puis la pâtisserie artisanale. Mis bout à bout tout cela fait une voie verte, avec des aiguillages en sable compacté pour aller voir le Portalet puis le parc animalier. Et pourquoi pas le col du Somport ? D’accord, faut pas rêver. Ou alors, le tunnel transfrontalier mène les cyclistes à Canfranc : en Espagne le soir, on papote à la fraîche sous un ciel étoilé. L’homme au chapeau à plume tapote l’épaule de la gendarme : il se fait tard, il faut rentrer.
Oui mais dans quel sens ?
Si l’on prend le tunnel hélicoïdal dans un sens, on prend vingt années puis on regarde passer les trains. Si l’on prend le tunnel hélicoïdal dans l’autre sens, on prend dix années puis on pédale à volonté. Est-il possible de monter et de descendre à la fois pour retomber sur ses pieds ? Mettons le cap sur le présent, puis plaidons pour une voie douce et tranquille, celle qu’affectionnent les aînés et les enfants. L’amazone en gabardine chausse ses lunettes puis lui offre le bras : « Dans un tunnel à spirale, on ferait de la chantilly avec rêve et réalité ».
Dans le noir total, un duo de femmes marche à qui mieux mieux. Cette fois le tunnel est immense, il faut trois mois pour le traverser. Audrey n’a ni faim ni soif, même pas peur d’y arriver. Mais quand pointe la sortie, une angoisse lui serre le cœur : « Que vais-je dire au brigadier ? » Mon enquête est finie, le trésor je l’ai trouvé. C’est une voie verte qui traverse la Vallée d’Aspe du nord au sud. Il y a des viaducs pour admirer le paysage. Il y a des tunnels pour jouer avec la lumière, puis pédaler avec The Beach Boys dans les oreilles. Et si un tunnel était à la fois un chemin, un cirque, un toboggan ? Ou alors une piste de danse : on y ferait la chenille, puis les habitants nous rejoindraient à la nuit tombée. Sans feux rouges ni passages à niveau, on s’évaderait où bon nous semble, l’important c’est de participer.
Alors la gendarme jubile : ça y est, elle a les mots pour parler biclou au brigadier. Mais aussi au maire, au président, au député. À la sortie nord elle enfourche une bicyclette puis elle pédale à toute vitesse, cap sur la réalité.
Sans crier gare, à Borce la piste s’interrompt.
Alors Audrey chute, chute, chute. Tout en bas il y a des voitures. Tout en bas il y a des camions. Tout en bas il y a des gens qui montent à la tribune en psalmodiant « venez à la concertation ». Et plus la gendarme auxiliaire se crashe, plus elle est sûre d’avoir raison. L’impact est imminent. « Quelle est ma dernière pensée ? » songe-t-elle en serrant les freins.
Puis c’est le grand boum.
Audrey vient de rebondir sur le plancher. Elle est en nage. Elle a mal au bras. Elle cherche la lampe de chevet. « Dès que ma paie augmente je m’offre un lit king size », grogne-t-elle en se massant l’épaule. Puis elle a un éclair : demain, elle passe le concours de la gendarmerie. Son premier poste, si elle l’obtient, c’est Bedous. À quoi ressemble la Vallée d’Aspe ? Il paraît qu’il y a un petit train. La bouche pâteuse Audrey, tâtonne jusqu’au frigo. Un yaourt au lait de brebis la remet sur pied.
Trois mois plus tard, la gendarme auxiliaire arrive à la gare. Une patrouille l’attend sur le gravier. Avant de monter dans le véhicule, elle tourne la tête vers le sud : au-delà du quai, elle a vu un heurtoir. Alors elle songe : pour ma première mission, va falloir se cramponner.
FIN

• Nouvelle en cinq épisodes mise en ligne le 7 juillet 2025. Texte : Erik Brissot. Tous droits réservés, y compris pour les entreprises entraînant leur IA sur Internet : respect du droit d'auteur.
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