La pudeur d'hier à aujourd'hui

Paru en 1986, Histoire de la pudeur et ses 360 pages emmènent le lecteur dans un voyage spatial et temporel au cours duquel il côtoie l’empereur Maximilien, Isabelle de Castille, la baronne de Montreuil-Bellay et Louis XIII.

Jean-Claude Bologne, écrivain, réalise la première enquête historique sur l’art et la manière d’afficher ou de dissimuler les corps et les sentiments.

Aucune époque n’échappe aux paradoxes. À la fin du XIXème siècle, l’excès de pruderie a comme corollaire un érotisme endémique dans la mode féminine. « C’est l’époque des froufrous, où une cheville furtivement échappée à la masse des jupons suffit à éveiller les désirs les plus coupables », écrit Jean-Claude Bologne. L’accumulation de vêtements aboutit à d’interminables déshabillages qui émoustillent les spectateurs dans les théâtres privés et les lecteurs de contes polissons.

Sous Louis XIV, l’habitude se prend de recevoir dans son lit, jusque dans les hôtels aristocratiques. Les femmes en ont adopté l’usage. Le lit est un meuble imposant, aussi long que large, parfois placé sur une estrade. Il est enveloppé de rideaux, garni d’oreillers, avec un amoncellement d’étoffes où se perd le visage de l’hôtesse.

Lorsqu’une société se recroqueville dans une moralité, l’art a tendance à en prendre le contre-pied.

À l’inverse, certaines civilisations telles que la Grèce antique apparaissent d’une impudeur extrême ; mais les sculptures délivrent un message académique, idéalisé du corps humain, loin de ses formes réelles.

Jean-Claude Bologne détecte un sentiment de pudeur dans chaque culture, chaque civilisation, d’hier à aujourd’hui.

Selon l’auteur, la pudeur est une « honte anticipée, la prise de conscience d’une faiblesse ou d’un interdit qui nous retient d’accomplir une action ». Cette « faiblesse », cet « interdit », sont relatifs et varient d’une culture à l’autre. Ils servent de référence à la pudeur.

Les larmes sont parfois mal vues, parfois encouragées. Certaines parties du corps, par exemple les pieds, sont dissimulées au même titre que les seins chez les femmes.

La pudeur est un processus dynamique. Liée à une prise de conscience, à un regard, la pudeur se recompose de façon permanente. Pudeur et apudeur se font et se défont dans un perpétuel ballet de normes et d’usages. Dès que la pudibonderie envahit l’espace social, les arts s’empressent de déshabiller les corps, dans un conflit perpétuel entre morale et transgression.

La fresque historique de Jean-Claude Bologne fait apparaître une idée-force : la pudeur est une nécessité.

« Toutes les époques, tous les pays ont ressenti le besoin d’un équilibre entre pudeur et apudeur ; et le terrain que l’on perd d’un côté est immédiatement repris d’un autre. La pudeur des sentiments se développe au fur et à mesure que s’affaiblit la pudeur sexuelle. L’impudeur artistique s’accompagne d’une chasse plus sévère dans la vie courante. »

Sans pudeur, a-t-on souvent dit, il n’y aurait pas de plaisir sexuel. Sans pudeur, il n’y aurait ni rougeurs, ni fantasmes. La pudeur traverse les civilisations et les individus.

Le livre de Jean-Claude Bologne, en nous guidant de maisons closes en châteaux, invite le lecteur à écrire sa définition de la pudeur, laquelle mérite le respect.

Aucune morale, aucune éducation, aucune religion, aucune mode, aucun média n’a le pouvoir de dicter la manière qu’a chacun de se cacher et de se dévoiler.

Mots secrets, peaux qui se découvrent ouvrent la voie aux jeux de la curiosité et du désir.

• Histoire de la pudeur, par Jean-Claude Bologne. Olivier Orban éditeur.