Massages et requêtes sexuelles

Désirs en suspens

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Homo sapiens est un drôle d'animal. Chez la plupart des mammifères, mâles et femelles s’accouplent ponctuellement lorsque la seconde est en chaleur - trois semaines par an chez les ours. Mais dès qu'une espèce marche sur deux pieds, sa libido enjambe les saisons. Jour après jour, le désir sexuel met femmes et hommes en tension. Bien des activités sont motif à quêter un plaisir, dont les massages. Est-ce bien ? Est-ce mal ?

Puisque masseuses et masseurs entendent des requêtes d’ordre sexuel dans l’exercice de leur métier, prenons le sujet à bras-le-corps, dans l’intérêt du professionnel et du client.

Quelle que soit la morale ou la religion de la personne qui masse, il lui faut composer avec un fait : chaque être humain qui se dépose sur la table de massage a une libido. Que celui-ci en parle ou non, qu’il soit à l’aise avec ça ou non, qu’il ressente un besoin ou non, la réalité est têtue : la femme ou l’homme qui s'allonge sur la mousse a rendez-vous avec son plaisir.

Plaisir ou bien-être ? L’expérience montre que la différence entre les deux mots est ténue. De sensoriel à sexuel en passant par sensuel, le plaisir est un bouquet de sensations.

Bienheureuses émotions

Mais admettre une réalité ne veut pas dire y adhérer. D’emblée, concédons à toute masseuse et tout masseur le droit de ne pas satisfaire la demande sexuelle d’un client. Les mille praticiennes et praticiens agréés France Massage® ont beau avoir de l’empathie, ils appliquent le cadre qui entoure leur prestation.

Cadre juridique, puisque la loi française interdit la prostitution - or, une fellation rémunérée est un acte de prostitution. Cadre éthique, car un code de déontologie entoure une séance de bien-être. Cadre administratif, vu que la masseuse ou le masseur a un statut : profession libérale, code APE. Ainsi, le professionnel est fondé à dire non à une requête sexuelle.

Reste que malgré les garde-fous juridiques, éthiques, administratifs, le cerveau « mouline ». Celui des clients d’abord, lesquels voyagent à leur façon avec les massages. Les uns sommeillent à la fin d’une séance, lors du massage crânien. D’autres enfilent leurs bottes de sept lieues dès la sortie : ils aspirent à faire le tour du monde ou de leur vie. D’autres encore esquissent une scène d’amour avec un être aimé, réel ou imaginé. Quel que soit le scénario, chacune et chacun restent libres de fantasmer.

À son tour, le cerveau de la masseuse ou du masseur « mouline ». Face à une requête d'ordre sexuel au téléphone ou au cabinet, le professionnel vit une émotion : colère, peur, compassion, sourire intérieur les rares fois où la chose est suggérée avec humour. Praticienne et praticien ont beau avoir traité le sujet en formation, le baptême du feu se fait dans la vraie vie, là où le client redouble d’imagination pour se faire comprendre à demi-mot. Les conseils du formateur volent en éclat le jour où la cliente ou le client exprime son besoin de sexe à sa façon. Ni la morale, ni la religion, ni la mallette du psychologue ne domptent la machine à penser de la masseuse et du masseur, lesquels ont leur propre histoire avec la libido.

Dès lors, le professionnel réfléchit puis se fabrique une méthode au fil des séances. Avec les années, requête après requête, son cerveau s’aguerrit.

Boîte à outils

Une masseuse ou un masseur ne souhaite pas délivrer de prestation sexuelle. Il aimerait limiter les appels indésirables. Que faire ? Il existe une boîte à outils dans laquelle puiser pour encadrer une séance. Qu’y trouve-t-on ?

• Le label France Massage®. Visible sur tous les outils de communication - site web, page Facebook, carte de visite - la mention « praticienne agréée France Massage® » ou « praticien agréé France Massage® » a fait ses preuves pour limiter les requêtes d'ordre sexuel. Car un label - que porte une fédération professionnelle à défaut de l’État - dit au public : la prestation a un caractère officiel, encadré, légal, qui ne souffre aucune dérive. France Massage® : et les coups de fil inopportuns se raréfient.

• Le site web. La majorité des clients vont transiter par le site du professionnel avant de prendre rendez-vous. En parcourant le site, ils s’informent sur les séances de massages et le contexte qui les entoure. Dès la page d’accueil, le professionnel choisit mots et images pour que la prestation soit vue comme une ressource de bien-être qui exclut la satisfaction sexuelle.

• Les photos. Qu’elles soient en noir et blanc ou en couleurs, les photographies diffusent un message. Présence de serviette sur le modèle, tenue et mine du professionnel : chaque détail est une source d’information. Si la photo respecte la pudeur du modèle, alors le client qui cherche une satisfaction sexuelle comprend qu’il fait fausse route.

• La posture. Au téléphone ou en séance, la masseuse ou le masseur construit son personnage. Clarté de l’exposé, capacité à répondre aux questions en quelques mots, rappel de l’agrément France Massage®, ton ni trop froid ni trop chaleureux : le professionnel pose le cadre. D’où les jeux de rôle qu'organisent des centres de formation pour aider le débutant à trouver sa posture.

• La manière de dire non. Quand le client dit son besoin de satisfaction sexuelle, une phrase aussi simple que possible est la bienvenue pour clore le sujet. « Les séances de bien-être sont des prestations encadrées par le label France Massage® », le tout dit avec calme, en détachant les syllabes, a le mérite de la concision et de la clarté. Car autant le client tourne autour du pot dans un alliage de timidité et d'envie, autant le professionnel gagne à porter un message bref et limpide, sans se répandre en justifications, encore moins en leçons de morale.

• Un numéro de téléphone fixe protège mieux des requêtes d'ordre sexuel qu’un numéro de mobile. Le premier indique que l’établissement a pignon sur rue ; le second peut laisser croire que le prestataire est nomade ou de passage. En outre, des outils permettent de gérer les appels depuis un mobile, même si le client a composé un numéro de téléphone fixe : utile quand la praticienne ou le praticien est en déplacement, par exemple quand il encadre une formation.

• Dans le même esprit, une fiche Google avec nom du centre de bien-être, adresse, téléphone, photos, texte qui présente l’établissement, actualités, renforce le sérieux du cabinet de massages. De nos jours, la fiche Google remplace la traditionnelle présence dans l’annuaire Pages Jaunes.

La boîte peut être complétée avec les outils de son choix.

Règlement intérieur

Et puisqu’un établissement bien référencé détourne le client en quête de sexe et de clandestinité, ajoutons que masser au domicile des clients se révèle plus périlleux que masser sur son lieu de travail. Chez lui le client est roi ou presque, alors que dans l’espace du professionnel, c’est l’inverse. Au cabinet de bien-être, la masseuse ou le masseur peut mettre fin à une séance puis conduire le client indélicat vers la sortie. D'où l'utilité des conditions générales de vente (CGV) : document visible sur le site web et au cabinet. C’est plus compliqué dans une salle de séjour, ou pire dans une chambre. Quant à l'hôtel, le bon sens dit : à éviter.

Enfin, remettons la table au centre du débat. En séance, leur bagage technique met masseuse et masseur à l'abri de toute ambiguïté : pétrir un muscle puis étirer une jambe créent une sensation différente qu'une série de caresses.

Pédagogie du respect

Au fil du temps, un panel de requêtes d'ordre sexuel mérite d'être analysé. Il est sage d’avoir autour de soi deux oreilles bienveillantes et attentives pour, le cas échéant, « vider son sac » après une expérience désagréable. L’interlocuteur de confiance est un refuge, mais aussi une aire de jeu qui fait rebondir une réflexion.

Concluons le sujet sur une image : parfois les massages sont l’antichambre du désir ; mais l’antichambre n’est pas la chambre. Le toucher ouvre grande la fenêtre vers la liberté dès lors que cette dernière n’empiète pas sur celle d’autrui. Respect est l’idée cardinale qui guide un massage. L'expliquer à certains clients est un travail de longue haleine. À ce titre, masseuses et masseurs agréés France Massage® forment une chaîne de solidarité.

• Le massage n’est pas une prestation sexuelle. Article d’Éloïse Mercier, praticienne et formatrice, sur le site de la Fédération Française de Massages Bien-Être - FFMBE. L’autrice aborde entre autres les enjeux psychologiques chez le professionnel face aux sollicitations sexuelles. Éloïse Mercier est par ailleurs membre du conseil d'administration de la FFMBE.

• Accès à l'annuaire des praticiennes et praticiens agréés France Massage®. Une masseuse ou un masseur qui communique avec ce label certifie qu'il remplit les conditions que pose la Fédération Française de Massages Bien-Être : formation, certification, déontologie, assurance, entreprise avec numéro de SIRET et code APE.

• Lire aussi notre article Toucher, sexualité.

• Sur France Culture, émission Les pieds sur terre, une masseuse à son compte prénommée Marie vit et travaille dans le sud de la France. Après quelques années d’activité professionnelle et face à des requêtes sexuelles de la part de ses clients, elle choisit de satisfaire leur demande. Elle s’en explique avec la reporter Leila Djitli. Les pieds sur terre est une émission de Sonia Kronlund qui décrit le réel, sans commenter, sans juger. Journal d’une prostituée de campagne fut diffusé pour la première fois le 10 janvier 2017 sur France Culture.

• Depuis la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre la prostitution, le client est désormais coupable devant la loi des prestations sexuelles qu'il achète.

* Images d'illustration. Première image : détail de Salomon sacrifiant aux idoles, peinture de Jacques Stella (1596 - 1657) visible au musée des beaux-arts de Lyon. Seconde image : Dall.e2