Scie… le bois m’était conté

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Alors qu'un client guettait une livraison de bois pour son chauffage, des percnoptères d’Égypte Maria blanca se mettent à nidifier une parcelle sur le point d’être coupée. Aussitôt, Office national des forêts (ONF) et Ligue de protection des oiseaux (LPO) tracent un périmètre de sécurité de 1 km autour des vautours près de Lourdios-Ichère. Le chantier est mis en suspens pour trois mois. La livraison de bois attendra.

À l’inverse du béton ou des métaux, le bois est une matière vivante. Grâce au bois les hêtres poussent, la faune se nourrit, les oiseaux nichent. Conséquence : même si elle est idéalement située en montagne, une scierie fait avec les aléas de la nature.

Et même quand l’Office national des forêts diffuse un cahier de vente pour du bois de charpente, rien n’est acquis. Vingt jours durant, les arbres marqués par un agent ONF sont mis aux enchères. C’est la criée, le charme en moins : désormais, les lots figurent sur le web, avec le numéro de la parcelle et le nombre de m³. À Lées-Athas, Arette, Laruns, Argelès-Gazost, chaque scierie fait une offre. Il faut rester sur le qui-vive jusqu’à la dernière minute. Le mieux-disant gagne le marché.

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Bref, tenir une scierie dans la durée tient de la gageure. Du flair, de l'expérience, de la chance : depuis 1870, la scierie Arretteig à Lées-Athas cultive les trois. Frédéric Arretteig passe plus de temps au bureau, devant un ordinateur, que sur ses machines. Tâche ingrate mais nécessaire, reconnaît-il. Une fois les corvées administratives derrière lui, que fait un chef d’entreprise ? « Je pars en forêt ».

Car l’âme d’un métier se déploie en montagne, de Lées-Athas au Somport en passant par Aydius et Lescun. Frédéric Arretteig, cinquième génération d’une famille qui a le bois dans la peau, commence par cueillir des champignons. Ensuite, il observe les arbres. En particulier ceux que l’ONF déclare aptes à être coupés. Rien ne sert d’enchérir, il faut choisir à point. Du bois bien droit, sans gros nœuds, bref du bois de charpente. En mars ou en novembre, Frédéric et Arnaud - ainsi que Joseph et Jérémie Arretteig - estiment la qualité, donc la valeur du bois. Une enchère leur échappe ? Pas grave. Une autre parcelle a leur préférence. Alors ils se démènent pour que le jour venu, les grumes leur soient livrées.

Sous l’œil d’un agent ONF, la coupe est mise sous la responsabilité de la scierie. Laquelle mandate des bûcherons puis un transporteur. 70 % de l’activité, c'est produire du bois de charpente pour les pros : charpentiers, grossistes en matériaux. Et 30 % pour les particuliers : bois de chauffage en bûches. Alors quand la précieuse livraison arrive, les machines entrent en jeu : écorceuse, scie à grumes, scie de reprise (circulaire), tronçonneuse fendeuse. Dans la scierie ça grince, ça siffle, ça chute. Mais avec un casque antibruit ou des bouchons auditifs, chaque ouvrier jongle avec manettes et boutons.

Mais voilà qu'un artiste frappe à la porte.

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La scierie Arretteig a beau être une entreprise, parfois six artisans du bois sortent des sentiers battus. Par exemple, un musicien découvre que frapper avec du sapin, du hêtre, du douglas, du châtaignier donne à chaque fois un son différent et unique. Il rêve de fabriquer des marteaux à partir de huit essences différentes. Son but : créer un instrument à percussions. Pour lui, la scierie Arretteig fabrique un jeu complet de maillets. Alors le bois fait de la musique. À leur tour un sculpteur, un fabricant de mobilier sur-mesure font halte à Lées-Athas. Ils ont parfois de drôles d’idées. Pour eux, Frédéric Arretteig cherche puis trouve la solution.

Et puisque les forêts de Vallées d’Aspe, de Barétous et d’Ossau peinent à honorer la demande, alors Frédéric Arretteig décroche son téléphone. Dans la Creuse et dans le Tarn, une coopérative lui vend douglas, sapin, mélèze. Cette fois il n’y a ni percnoptère d’Égypte, ni mise aux enchères. Grâce à ce filet de sécurité, la scierie garde sa vitesse de croisière toute l’année. La preuve : ici et là, des écorces, de la sciure, des plaquettes forment des terrils. Car le bois, matière naturelle, a un atout formidable : rien ne se perd. Les écorces partent dans les chaudières industrielles. La sciure sert à fabriquer des panneaux agglomérés. Les plaquettes de broyage font le délice des papeteries. Tout est valorisé. Résultat : une scierie est une activité sans déchets ou presque.

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Est-ce la raison pour laquelle les jeunes générations optent volontiers pour les métiers du bois ? En tout cas, ceux-ci ne font pas partie des « métiers en tension », comme le bâtiment et la restauration. À la scierie, six collègues conduisent les machines avec calme et concentration. L’exercice du métier requiert un bac pro spécialisé en scierie. Car mieux vaut repérer le sens de la fente du cœur pour réussir une coupe. De même, un ouvrier retire parfois son casque car il a besoin d’entendre le bruit de la lame qui tranche le bois. En revanche, il s’applique à tenir ses mains à distance : le bois trépide dans les machines.

Au fait, pourquoi la scierie Arretteig ne produit-elle pas de plaquettes pour les nouvelles chaudières à bois ? Parce que les plaquettes exigent d’être séchées dans d’énormes machines voraces en énergie. À la sortie du bourg de Lées, l’espace dédié au bois n’est pas extensible. Il faut faire des choix. Par exemple, renouveler la fendeuse qui a déjà huit ans d’âge, d’autant que les techniques évoluent.

Dans quelques années, Arnaud et Jérémie, sixième génération de la famille Arretteig, reprendront le flambeau. Ils hériteront d’une entreprise à taille humaine : celle qui coupe les arbres à bon escient, rend service aux habitants, fait respirer une zone de montagne. Vive le bois.

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• Accès au site de la scierie Arretteig

• À la scierie Arretteig, le bois de charpente est fait de résineux : sapin, douglas, mélèze. Le bois de chauffage est en hêtre, avec quatre longueurs possibles, de 25 à 60 centimètres.

• Dans le bâtiment et les travaux publics, il est de plus en plus fréquent que les architectes remplacent le béton par le bois. Intention louable. Question subsidiaire : d’où vient le bois ? Parfois de l’autre bout du monde, avec des plantations mono-espèce puis des techniques d'exploitation fort peu écologiques. Méfions-nous des fausses bonnes idées.

• Même dilemme avec le chauffage. Avec la hausse du fioul et du gaz, les Français se sont rués sur les chaudières et poêles à bois. Conséquence : la forêt française ne produit plus assez de plaquettes et de granulés. Il faut en importer. Méfions-nous des fausses bonnes idées (bis).

• Parfois, l’ONF organise lui-même la coupe puis le transport du bois avant de le vendre aux industriels. Cette activité commerciale prend parfois l’ascendant sur la mission originelle de l’ONF : veiller sur la santé de la forêt. D’où l’appel de chercheurs et d’agents de l’Office en faveur d’un retour à une mission de service public.

Écorcer, tronçonner, raboter, scier… Voici 33 images qui racontent une journée de travail à la scierie Arretteig. Chaque geste exige précision et minutie :