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Écobuage : les feux de la discorde


Soudain le soleil pâlit, le ciel blanchit. Hiver en Haut-Béarn, la montagne flambe. Brûlage pastoral ou écobuage : les feux attisent un conflit. En 2024, quel est le sens d'un rituel ?

Sur les braises d’une tradition

Ils étonnent les visiteurs, crispent des habitants : en Haut-Béarn, des feux font tousser vingt jours par an. Soit 2 000 hectares de prairies, talus, estives que les éleveurs vont « écobuer » d'ici le printemps. Au-delà des pour et des contre, où va le vent ?

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Écobuage au col de Bouésou en Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques.Un matin de janvier, 4 éleveurs et 6 bénévoles gravissent les pentes du Bergout. À 1 490 mètres d’altitude, ils se postent à flanc de montagne. Peu après, des flammes avancent du sud au nord, sans mordre la forêt en amont, sans enjamber le chemin en aval. Dès 9 heures du matin, une éleveuse a prévenu les pompiers. Lesquels activent le chantier : point rouge sur un site dédié. En amont, le maire a donné son accord ; ONF et secours sont dans la boucle (1).

Car depuis 2003, l'écobuage c'est toute une organisation. Sur les hauteurs du Béarn, deux drames restent en mémoire : en l'an 2000, cinq randonneurs au Pays basque décèdent des suites de leurs brûlures ; en 2002, ce sont 5 000 hectares de forêt qui flambent dans les Pyrénées Atlantiques. De la préfecture aux éleveurs, chacun prend conscience qu’une pratique dite « ancestrale » doit faire avec deux réalités : le tourisme essaime en montagne ; la broussaille envahit des zones de pâture à l'abandon. Mais en Béarn, des mains se lèvent : les temps changent, et si nous mettions fin à une tradition ?

Rideau de fumée

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Écobuage ou brûlage pastoral au-dessus de Borce, Vallée d’Aspe, Béarn, Pyrénées Atlantiques.Vingt ans plus tard, le brûlage pastoral persiste et attise l'opinion. Les opposants ont un argument en béton : la fumée des écobuages pollue. Vrai : un feu de montagne dégage les mêmes particules que les véhicules diesel et le chauffage au bois. Oxyde d’azote (NOx), dioxyde de carbone (CO2)… D’un diamètre de 2,5 à 10 micromètres, les poussières entrent partout. Elles se fixent aux parois, sur le linge, dans les voies respiratoires. La fumée est cancérigène, avec une nuance : mieux vaut subir une pollution vingt jours par an que toute l’année : d’Escot au Somport, 500 camions arpentent chaque jour la RN134. La pollution c’est comme l’alcool : les dégâts sur la santé sont plus sévères si l’on boit une bière par jour qu’un vin de cave une fois par mois.

NOx et CO2 ont beau mettre des Béarnais à cran, en quoi est-ce utile d’embraser talus, prés, estives dès que le soleil brille ? Car quoi qu’on en pense, un éleveur ne brandit pas une torche par habitude. Encore moins pour le plaisir. Au contraire, les paysans dorment peu la nuit qui précède l’écobuage. Ce qu’ils redoutent ? Que le feu déborde.

Forêt, pylône, bergerie, maison : dès qu’un brûlage pastoral fait des ravages, un gradé dresse un PV (2). D’où des méthodes qui se transmettent de génération en génération. D’où mille précautions : débroussailler une bande en lisière de forêt ; attendre que la neige tienne en altitude ; sentir si le sol est humide ; observer le sens du vent. Tout éleveur subit un jour la mèche qui file dans son dos. Certains en gardent les stigmates : cinq secondes, la fumée ne fait pas de cadeau.

Un feu contre l'incendie

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Un mois après un écobuage, le retour des fougères au-dessus d’Osse-en-Aspe en Béarn.Alors éleveuses et éleveurs partent dès dix heures en tenue de combat : du linge en coton, surtout pas de nylon. Des manches longues. Des chaussures de montagne, et non des bottes en caoutchouc. Des gants, voire des cagoules à l'avenir. Et un seau-pompe dans le dos : soit vingt litres d’eau dans un sac équipé d’un pulvérisateur. Tant d’efforts et de stress ont un motif : accomplir une mission. Enjeu : nettoyer la montagne de fougère, ajonc, genêt, broussaille, ainsi qu’une herbe appelée paillasse que vaches et brebis évitent car trop dure à mâcher quand elle vieillit. En fait, l’écobuage repose sur deux piliers : ôter la végétation invasive pour parer aux incendies de forêt en été ; faire pousser l’herbe dont raffolent les troupeaux. Cerise sur le gâteau : l’écobuage préserve l'équilibre entre forêt et prairie. Soit les paysages qu'aiment les humains.

Et puisque le climat devient plus chaud et plus sec, les écobuages visent à retarder un scénario qui donne des cauchemars aux maires : l’incendie en août, quand l’estive est habitée par des dizaines de bergers, des centaines de randonneurs, des milliers de vaches et de brebis. Un massif s’embrase, et c’est une foule qui se fait piéger. Alors l’écobuage va dans le détail, jusqu’à traiter un talus couvert de ronce près d’un sentier. Des botanistes trouvent du mérite à une tradition : l’aster des Pyrénées, une plante rare et protégée, ne survit qu’à la lumière. Or sans brûlage en hiver, la forêt gagnerait chaque massif. Dans vingt ans, le Haut-Béarn sans asters serait une terre uniforme, un site peu hospitalier.

Le lombric fait de la résistance

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Écobuage ou brûlage pastoral à Escot en Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques.À ce stade, des militants sortent du bois : et si les Pyrénées redevenaient un territoire ensauvagé ? C’est-à-dire sans femmes, sans hommes, comme il y a des millions d’années. Hum. Pas sûr que l’Aspois qui prend soin de sa Vallée apprécie de devoir un jour émigrer.

D’autant qu’à côté d’homo sapiens, des espèces s’adaptent aux écobuages en hiver : l'escargot et le ver de terre. Le brûlage pastoral ne fait pas du sol une matière sans vie. Les scientifiques font des relevés. Ils découvrent que deux mois après avoir été brûlée la terre va bien. Les bactéries sont là, de même que l'humus et les matières organiques (3). Rien à voir avec la forêt des Landes où, six mois après les incendies de l’été 2022, le feu couvait encore dans le sol. Lequel chauffe à peine en Haut-Béarn : un feu d'hiver, quand la terre est humide, a un effet nul sur la température à cinq centimètres de profondeur.

Si l’argent ruisselait…

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Un écobuage voile peu à peu le ciel à Bedous en Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques.OK les écobuages sont utiles, mais ne peut-on faire autrement ? rétorque une partie des opposants. Avec les robots du XXIe siècle, un ingénieur devrait résoudre l’équation. Il existe une débroussailleuse munie d'une télécommande qui s’adapte aux pentes, du moins jusqu’à un certain point. Elle n’aime guère les cailloux. Elle est pilotée par du personnel qualifié. Elle traite 1 hectare par jour. Et l’entreprise facture 1 000 € par jour sa prestation. Soit un budget de 2 millions d’euros par hiver, rien qu’en Vallée d’Aspe. Qui veut payer ? Alors tous les regards se tournent vers l’État.

Justement, l’État ne dit mot. Un éleveur aimerait avoir des repères sur l'humidité du sol et de la végétation. Quant aux capteurs d’air homologués, les plus proches sont à Pau, Lacq et Bayonne. Le premier outil analyserait le sol avant d'allumer le feu ; le second mesurerait la pollution (4). À défaut de technologie, le paysan se fie aux animateurs pastoraux pour sentir le feu : merci à la Chambre d’agriculture et au Centre départemental de l’élevage ovin. En 2024, l’écobuage reste une histoire d’humains.

Et si le brûlage pastoral était la moins mauvaise des solutions ?

Écobuage entre les cols de Hourataté et du Bouésou en Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques.(1) Sur la zone cœur du Parc, tout écobuage doit être signalé en amont au Parc national des Pyrénées.
(2) La police de l'environnement (Office national des forêts, Office français de la biodiversité) et la gendarmerie peuvent dresser un procès-verbal.
(3) Humus et matière organique ne sont pas affectés par la chaleur du feu.
(4) Le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) disposerait d'un logiciel pour tester l'humidité des sols. Un capteur d’air ne peut dire si la pollution vient des véhicules, du chauffage au bois ou de l’écobuage. Des particuliers font l’acquisition de capteurs d'air, mais ceux-ci ne sont pas homologués.

Écobuage, infos pratiques :

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Après un écobuage au-dessus de Lescun en Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques. En Vallée d'Aspe, les surfaces où sont autorisés les écobuages font 2 000 hectares environ. Tout n'est pas brûlé chaque année : cela dépend des périodes favorables, du taux d'humidité plus ou moins propice à la combustion des végétaux, de l'exposition des chantiers. Dans les Pyrénées Atlantiques, 15 000 hectares sont écobués chaque année, soit 10 % des surfaces pastorales.

Avant de lancer un écobuage, il faut informer les randonneurs : pancartes à l’entrée des chemins, date de la mise à feu. En pratique les panneaux ne sont pas toujours présents, ou la date n’est pas indiquée. D’où un site actualisé chaque jour à 10 heures du matin par le Centre départemental d’incendie et de secours : il donne des informations en temps réel sur les écobuages. Entrer dans une zone de brûlage pastoral est déconseillé, or de nombreux randonneurs ignorent les consignes.

En Vallée d’Aspe, il faut compter dix à vingt jours d’écobuage en hiver, de janvier à avril. Un écobuage n’a lieu que s’il fait beau et s’il n’y a pas de vent ou presque.

Écobuage ou brûlage pastoral au col de Bouésou, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques. Depuis l’hiver 2020-2021 et à titre expérimental, les écobuages sont régulés pour éviter que la Vallée d’Aspe ne subisse le même smog qu’à Bombay en période anticyclonique. Ainsi les maires d’Accous, Bedous, Lées-Athas et Osse-en-Aspe échangent avant de délivrer les autorisations. Les versants ouest et sud, donc les plus ensoleillés, sont brûlés en premier. En outre, certains maires interdisent les écobuages le week-end, quand les promeneurs vont prendre l'air en montagne. Idem lors des vacances scolaires.

Depuis 2003, l’écobuage est organisé : schéma départemental et commission locale dans chaque commune. D'où un planning des brûlages pastoraux, puis un retour d’expérience si le feu déborde.

L’écobuage reflète le souci chez les éleveurs de prendre soin du patrimoine naturel qui leur a été transmis. Éleveuse et éleveur se fixent pour mission d’entretenir la montagne à la manière d'un paysagiste. Ils sont sensibles à la notion de propre et de sale, donc ils parlent de « nettoyer la montagne ». Enfin, ils veulent protéger les villages d’un incendie qui pourrait être dévastateur.

Écobuage ou brûlage pastoral au-dessus d’Escot. Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques. Il existe plusieurs techniques d’écobuage, mais aucune n’est parfaite. Par exemple, si l’on brûle depuis le bas de la montagne, le feu monte plus vite, donc le sol chauffe moins, donc la végétation est moins bien brûlée. À l’inverse, si l’on brûle depuis le haut de la montagne, le feu descend plus lentement, donc le sol chauffe plus, donc la végétation est mieux brûlée. L’écobuage requiert un savoir-faire qui ne s’apprend pas en lycée agricole : d’où la transmission locale entre éleveurs.

Les écobuages sauvages, donc sans autorisation, existent encore : ils se font rares et sont le fait d'une autre génération. Des maires en Vallée d’Aspe ont porté plainte contre les auteurs d’incendies non autorisés et non organisés. Dans les faits, il n'y a aucune amende. Les éleveurs qui appliquent les règles puis font face à un débordement sont, eux, verbalisés : paradoxe d'une société ?

Après un écobuage au-dessus d’Accous en Vallée d’Aspe, Haut-Béarn, Pyrénées Atlantiques. Avec la hausse des températures, le risque est que dans les prochaines années il ne neige pas de tout l'hiver, ce qui rendrait l’écobuage encore plus périlleux : risque d'un feu de forêt en altitude. En Vallée d’Aspe, la neige est appelée « le pompier blanc ». Or, le réchauffement climatique a pour corollaire la sécheresse, ce qui rend encore plus utile de nettoyer le sol de ses fougères et broussailles.

Une alternative aux écobuages serait la présence massive d’ânes en montagne : ceux-ci sont réputés nettoyer un terrain en quelques jours, ronces comprises. La méthode implique que des éleveurs d’ânes soient rétribués pour une telle mission : hors de prix pour les exploitations agricoles. D’autant que le nombre d’élevages bovins et ovins baisse : les départs à la retraite ne sont pas compensés par les installations, faute d'un revenu décent. En un demi-siècle, la forêt a gagné du terrain sur les pâturages en Vallée d’Aspe.

Une semaine après un écobuage au-dessus d’Osse-en-Aspe en Béarn, Pyrénées Atlantiques. En Haut-Béarn, la pollution de l'air a trois sources : les poids lourds sur la RN134 ; la combustion du bois dans les cheminées ; et les écobuages. La première agit toute l'année ; la seconde six mois par an ; la troisième vingt jours par an.

La Chambre d’agriculture des Pyrénées Atlantiques donne informations et conseils aux randonneurs sur les écobuages.

La pratique de l'écobuage existe au moins depuis 6 000 ans, au néolithique. Mais l'érosion des sols reste faible et locale. Des milliers de feux pastoraux plus tard, une forte biomasse, des températures élevées, un sol sec provoquent ici et là la combustion des couches superficielles. Les forêts en amont des zones pastorales assurent une protection contre la chute des rochers et des avalanches.

* Ce reportage s'appuie sur diverses sources d'information dont Pierre Gascouat, professeur d'agronomie en lycée agricole et animateur pastoral.

Un bosquet au col de Bouésou le jour d’un écobuage ou brûlage pastoral en Vallée d’Aspe.

Écobuages en Haut-Béarn : le même bosquet photographié trois mois plus tard, en juin.

Souffler sur les braises
ou chercher à comprendre
en Pyrénées béarnaises ?

* Page publiée le 14 mars 2024. Texte, photographies : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Tous droits réservés.

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