Ophélie Escot, éleveuse et maire

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Dimanche 18 décembre 2022 à 18 h 15 : au moment où le joueur argentin Gonzalo Montiel offre la coupe du monde de foot à son équipe, Ophélie Escot galope vers la route nationale 134 : alerte de la gendarmerie. Arrivée sur place, point d'accident. Mais elle récupère un cochon qui zigzague sur la chaussée : la bête s’est évadée d’une ferme. Trois ans plus tôt, un choix fait « boum » dans son cerveau : après une nuit sans sommeil, Ophélie Escot décide de se présenter comme maire de son village. À cinq heures du matin elle ignore que le dimanche 15 mars 2020, elle sera la plus jeune femme à être élue maire dans une commune de l’Hexagone.

À 26 ans et à mi-mandat, Ophélie Escot s’offre un cadeau : se poser, une heure durant, puis mesurer le travail accompli. Ce jour-là, les souvenirs remontent à la surface. Après des études à Lannemezan, au Pays basque puis à Pau, elle réalise que sa place est parmi les siens, en Vallée d’Aspe : « Je veux rendre à la montagne ce que la montagne m’a appris », lâche-t-elle en pesant ses mots. Et comme aucun des 80 habitants - il y en avait 680 un siècle plus tôt - ne se présente aux élections municipales, alors Ophélie Escot consulte sa famille puis trouve six colistiers. Juste avant le coup de gong, elle dépose sa candidature à la sous-préfecture d’Oloron-Sainte-Marie.

À Cette-Eygun et dans la Vallée, début 2020, on commente l'événement. Lui : « Tu es trop jeune, ce n’est pas à toi d’y aller ». Elle : « Tu n'as aucune expérience, et puis cette fonction n’est pas faite pour une femme ». Dans la rue, Ophélie Escot prend une claque : « Entendre ça d’une femme, c’est particulier », souffle-t-elle les sourcils froncés. Peu après, une mamie lui offre le café. Elle pose sa main sur son avant-bras : « Si tu as confiance en toi, alors tu y arriveras ». Un journaliste tend son micro : « Quelles sont vos promesses de campagne ? » À ces mots, la candidate hausse les épaules : « Promettre, c’est une façon de mentir et se mentir. Je fais de mon mieux avec une dose d'insouciance, une dose de détermination ».

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Dimanche 15 mars 2020 à 18 heures commence le dépouillement. La tension monte à la mairie. La population va-t-elle adouber une jeune éleveuse de brebis sans parcours politique ? Sur 54 bulletins, 4 votants ont rayé le nom d'Ophélie Escot. Élue au premier tour, celle-ci trinque avec l’assemblée. Vingt-quatre heures plus tard, tout le monde est confiné (1).

Et comme le maire précédent vient de perdre sa femme, impossible de passer le relais. D’ailleurs, Ophélie Escot fait son baptême du feu dès le 27 juin 2020 : chemin de Cette, un incendie embrase une maison, ravage la seconde, lèche une troisième ; laquelle n'est sauvée qu'avec l’intervention des pompiers. Et là, une jeune élue découvre que Cette-Eygun a un réseau d’eau qui vieillit. Elle trouve une entreprise spécialisée dans les travaux en zone de montagne. Un an plus tard, la commune a son équipement dédié à l’eau potable (excellente) et à la défense incendie (performante). Il y a même un mini-barrage pour que les pompiers puisent l’eau à volonté dans un bassin.

Ce n’est pas tout : le 8 août 2020, un éboulement détruit les capteurs d’une centrale électrique. Le terrain est communal : juridiquement, Cette-Eygun est responsable. Ophélie Escot plonge dans le droit administratif et le code des assurances. Là aussi, tout est réparé en un temps record. Avec la gratitude des habitants ? « Le territoire de la commune est vaste. Ce type de chantier est invisible, en surplomb de la commune. Ce n’est pas comme des travaux de voirie en plein cœur du village. Tant que les habitants ont l’eau et l’électricité, tout leur semble normal ».

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Mais quand il y a un problème de voisinage, ou de stationnement, ou de permis de construire, alors les habitants frappent à la porte de la mairie. Ou apostrophent madame la maire dans la rue. Ophélie Escot encaisse. Elle dépose plainte pour la première fois de sa vie. Mais surtout, elle fait preuve de pédagogie. « D’une part j’ai un pouvoir de police municipale. D’autre part j'applique les règlements d’urbanisme, y compris pour des panneaux solaires ». En trois ans, elle a appris quelque chose de très important : l’art d’écouter puis d’expliquer. Trancher quand c’est nécessaire, toujours en étayant son propos. Ne jamais laisser pourrir une situation.

Parfois, Ophélie Escot décroche son téléphone. Elle demande conseil au maire d’un village aspois qui en est à son troisième mandat. Surprise : la plupart du temps, l’élu ne sait pas. En fait, chacun erre dans le labyrinthe des services intercommunaux, départementaux, régionaux, nationaux. Avec une secrétaire à mi-temps et un technicien municipal à Cette-Eygun, chaque dossier se répartit entre sept colistiers. Tous bénévoles. La plupart ayant une famille et un boulot. Sur la messagerie de la mairie arrivent chaque jour 60 mails qu’il faut lire : l’un d’eux est peut-être vital.

En parallèle, Ophélie Escot doit aider 400 brebis à mettre bas en hiver, puis les mener en estive en été. Sans oublier les amies et les amis : kiné, infirmière, agent immobilier, tous répartis dans le Sud-Ouest et qui ne rêvent que d’une chose : fêter un 27e anniversaire en Vallée d’Aspe. Lequel ? Celui de leur Ophélie préférée.

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Pour l’heure, la maire de Cette-Eygun ronge son frein. En 2024, le réseau fibre sera souterrain à Eygun ; aérien à Cette. Car la commune est née de la fusion de deux bourgs : l’un en bas, sur le tracé de la route nationale ; l’autre à flanc de montagne. Or THD 64, l’opérateur chargé de hisser la fibre jusqu’à la frontière espagnole, veut faire des économies. De la fibre aérienne en Vallée d’Aspe ? Ophélie Escot lève les yeux au ciel. Entre chutes d’arbres, coulées de neige et rafales de vent, les coupures sont assurées. D’autant qu’à Cette il y a un hôtel-restaurant, des chambres d’hôte, une brasserie, un studio vidéo, une créatrice de bijoux ; mais le webmaster est parti à cause d’un réseau défaillant.

À force d’insister, la maire a reçu un devis pour enterrer la fibre : 186 000 € HT. À présent, elle plaide la cause du village face au patron du Département. Ophélie Escot se prépare à batailler : « Qu’elle est belle votre vallée ! disent-ils à Pau et à Oloron quand ils montent nous rendre visite. Mais notre vallée n’est pas un parc d’attractions. C’est un bassin de vie avec des habitants. Des gens qui ont droit à la même qualité de services que ceux de Pau. Sinon il n’y a pas d’égalité entre les Français ».

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Face à l’adversité, Ophélie Escot se félicite que les six conseillers municipaux - l’une a démissionné entre-temps pour raison personnelle - aient gardé leur cohésion et leur solidarité. Elle admet bien volontiers que l’engouement de départ « est un peu retombé comme un soufflé ». Elle a compris qu’administrer une commune est un parcours d’obstacle. Il y a des dossiers à remplir, des procédures à suivre, des interlocuteurs à convaincre. Des projets tels que la rénovation du chauffage au château d’Arance - hôtel-restaurant deux étoiles - doivent être différés : il faut au préalable qu’une agence réalise un diagnostic énergétique. « Un maire est une locomotive, assume la jeune femme. Aujourd’hui la loco va moins vite, mais mon amour pour la vallée reste intact. La montagne me porte et m'engage ». En sortant de la mairie, d’autres responsabilités l’attendent. Y compris un membre de sa famille tombé malade et qui a besoin de sa présence.

Ophélie Escot a une certitude : travailler sur le vivant avec 400 brebis lui apprend à gérer l’imprévu. Son métier, qui est aussi un mode de vie, l’invite à garder les pieds sur terre. Voilà pourquoi elle doute d’attraper un jour le virus de la politique, de Cette-Eygun à Paris : « Madame la maire de Cette-Eygun restera toujours Ophélie ».

(1) Aux élections municipales de 2020, il y avait une seule liste à Cette-Eygun. Dans les communes rurales, les électeurs ont le droit de rayer un ou plusieurs noms sur la liste. Quant au confinement dû à la pandémie Covid-19, il a débuté le mardi 17 mars à midi. Il a duré deux mois.

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Au bourg d’Eygun, une route nationale en ligne droite sépare les habitations et le gave d’Aspe. Pour se rendre au jardin public, ou lors d’une fête de village, il faut traverser un flot de camions et de voitures. Deux radars pédagogiques donnent l’ambiance sur le bitume : 110 km/h sur une route où la limite est de 50 km/h. Record de l’année 2023 : 134 km/h. Or, la sécurité est l’obsession de tout maire. Y compris à Cette-Eygun.

En 2020, Ophélie Escot reçoit la promesse du préfet qu’un radar sera posé « dans les dix-huit mois ». Qu’en est-il trois ans plus tard ? Rien. « Le silence est le mode de communication préféré de l’État », commente la maire du village. Laquelle redoute qu’un gamin courant après son ballon ne perde la vie sous un camion.

Pendant ce temps, la préfecture a fait poser un radar quinze kilomètres en aval : en pleine ligne droite, à l’écart de toute habitation. L’équipement ne sert à rien, sauf à empiler les procès-verbaux pour Bercy.

Et quand la Région Nouvelle Aquitaine et la SNCF réunissent les maires en 2021 pour présenter le futur chantier de réouverture de la ligne Pau Canfranc Saragosse, Ophélie Escot tombe de sa chaise : les futurs trains de voyageurs traverseront la commune sans s’arrêter. « Nous verrons les touristes passer », complète la maire du village en hochant la tête.

D’autant que faute d'infrastructures dédiées au fret, les trois-quarts des marchandises continueront à emprunter la route nationale. Laquelle aura 25 % de trafic en plus dans les dix ans à venir.

Aux dernières nouvelles, le radar routier de Cette-Eygun est bloqué sous une pile de dossiers au ministère des transports.

« L’indifférence de l’État, mais aussi de la Région, du Département et de la SNCF face à des enjeux de sécurité publique est ce qui mine le plus le moral d’un maire. Le malaise est global » souffle Ophélie Escot. Laquelle s’apprête à envoyer une énième alerte au Préfet.

* Sur la commune de Cette-Eygun, la vitesse est limitée à 50 km/h pour les voitures et à 30 km/h pour les poids lourds.

* Gave = rivière en Béarnais.

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• Ophélie Escot est titulaire d’un bac général scientifique qui inclut la pratique du ski alpin obtenu au centre d’entraînement de Lannemezan. Elle est aussi titulaire d’un BTS Transformation alimentaire obtenu au Pays basque et d’une licence Valorisation des produits du terroir obtenu à Pau.

• Elle a enseigné pendant six mois au lycée de Saint-Palais comme professeur de génie alimentaire.

• Elle est membre du GAEC familial Les Estives du Béarn à Cette-Eygun : élevage de 400 brebis et fabrication de tomme de brebis.

• La liste qu'elle a présentée aux électeurs en mars 2020 reflète la diversité de la commune avec des habitants de Cette et des habitants d’Eygun. Même souci de parité entre femmes et hommes.

• Parmi les dossiers majeurs qu’Ophélie Escot suit depuis son élection : le château d’Arance.

Située au bourg de Cette, la demeure fortifiée d’époque médiévale est devenue un hôtel-restaurant. Fermé trois années durant, l’établissement a rouvert en juillet 2022 après que la mairie a négocié - âprement - avec l’ancien propriétaire le rachat du fonds de commerce. Puis la mairie a confié la gérance de l'hôtel-restaurant à un couple.

Après une mise aux normes de la sécurité incendie, il faut moderniser le réseau de chauffage. Travaux devenus nécessaires après la flambée du prix de l’électricité. Pour faire un diagnostic énergétique, il faut poser des capteurs sur chaque équipement puis évaluer ceux qui consomment le plus. Tant que le chantier - estimé à plusieurs dizaines de milliers d’euros - ne sera pas réalisé, un projet touristique majeur en Vallée d’Aspe reste fragile sur le plan financier. Pour l'heure, un excès de charges rend aléatoire l’ouverture de l’hôtel-restaurant toute l’année. Or, il y a derrière un jeune couple de gérants et leurs enfants.

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• En juillet 2020, le quotidien régional Sud-Ouest a publié un article sur l’élection d’Ophélie Escot à Cette-Eygun

• Idem dans le quotidien régional La République des Pyrénées : article en mai 2020

• Ophélie Escot est membre du GAEC des Estives du Béarn

• Accès à la Page Facebook de la commune de Cette-Eygun

• Accès à la page Wikipédia sur la commune de Cette-Eygun

• Sur son site, la communauté de communes du Haut-Béarn accorde une (brève) page à la commune de Cette-Eygun

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* Page mise en ligne le 20 novembre 2023. Texte, photographies : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Tous droits réservés.