Pétrissons le genre

• Les photographies qui jalonnent la page sont issues d'un duo de danse contact improvisation dont les interprètes sont Julia Raynal et Rolando Rocha.

À Tokyo ou à Bali, les femmes et les hommes entrent dans un cabinet de massages avec le même naturel que s'ils vont chez le coiffeur. Hors des prestations sexuelles en officines de prostitution, les massages de bien-être dispensés en Asie obéissent à un cadre précis : les masseuses accueillent les clientes ; les masseurs reçoivent les clients. Dans les cultures d’Orient, la mixité s’efface dès que deux mains pratiquent un toucher structuré tel qu’un massage.

Et en Europe ? Même si la culture occidentale prône la mixité dans la plupart des activités, les massages n’échappent pas aux partis pris sexistes. Observons la part des femmes et des hommes dans la plupart des métiers : d'un côté les artisans maçons et les ingénieurs télécoms ; de l'autre les esthéticiennes et les aides soignantes. Les mentalités évoluent avec lenteur. La discrimination s’observe à l’école avec les activités « pour filles » et celles « pour garçons ». Dès lors, la première image qui vient à l’esprit des Français, quand on leur évoque « une personne dont le métier est de prodiguer des massages », est un visage féminin. De fait, le marketing du bien-être perpétue les clichés de genre, en spas et en centres thermaux.

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Le même stéréotype de genre, ou préjugé sexiste, fait croire qu’un massage délivré par une praticienne serait paré des vertus de la douceur. Tandis qu’un massage délivré par un praticien porterait la marque de la vigueur. Gestes maternels d’un côté. Technique virile de l’autre. Même le déroulé d’un massage n’échappe pas aux clichés sexistes sur la femme - attention, bienveillance, délicatesse - ou sur l’homme - domination, rudesse, sport - en action.

De surcroît, certains salons de massages affichent « only men » et « only women » à l’entrée. Comme si une crispation identitaire qui traverse la société française depuis la vague #metoo en 2017 trouvait dans le monde du bien-être matière à ériger des murs de protection.

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Or, voilà qu’un groupe de masseuses et de masseurs agréés France Massage® décide un jour de réaliser une expérience. Douze cobayes allongés sur une table de massage ont un bandeau sur les yeux. Pendant dix minutes, ils reçoivent une séquence de massage. Puis ils indiquent à voix haute s’ils pensent avoir été massés par une femme ou par un homme. L’opération est renouvelée douze fois. Ce qui donne au total 144 séquences de massage, à la fin desquelles il faut deviner si le professionnel fut une femme ou un homme. Bilan : les cobayes se trompent une fois sur deux (* détail du protocole au bas de la page).

L’expérience mériterait d’être menée à plus grande échelle. Mais elle fournit un indice : si la personne qui masse s’est formée aux gestes techniques du métier, alors le bénéficiaire allongé sur la table, les yeux bandés, ne peut déterminer le sexe de la créature qui vient de le masser. Un premier cliché sexiste tombe : de la douceur à la tonicité, les massages ne sont ni masculins ni féminins. Juste professionnels.

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Et comme la culture française reste mixte et laïque, et que les mentalités évoluent, que constate-t-on depuis peu ? Un renversement de tendance. Comme si les confinements imposés en 2020 et 2021, lors de la pandémie Covid-19, avaient aboli certains murs dans les esprits. Surtout ceux épris de liberté. Peut-être aussi que la méfiance née lors de la vague #metoo s’estompe. Mieux aguerries, des femmes se tournent vers les hommes avec une curiosité toute neuve. Des hommes font aussi leur révolution de palais. Et dans les centres de bien-être ?

Dans les centres agréés France Massage®, les femmes massent les femmes et les hommes ; les hommes massent les hommes et les femmes. Le tout encadré par un code de déontologie qui pose le respect mutuel. La personne qui évolue autour de la table de massage n’est ni « un sexe faible » ni « un gros dur ». Juste un professionnel qui possède savoir-faire et savoir-être.

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Quant aux gastronomes en massages, ils se sentent libres de se faire masser par une femme ou par un homme. Mieux : ils alternent, convaincus qu’une palette tactile s’enrichit avec deux genres. Lesquels cheminent dans une paix et une confiance retrouvées.

La roue tourne. Masculin, féminin : les massages jonglent avec les clichés sexistes. Leur palette va de la douceur à la tonicité, avec un éventail de nuances entre les deux. Qui sont les clients ? Des femmes et des hommes qui partagent un goût pour une nourriture tactile, source de bien-être et de santé. Qui sont les professionnels agréés France Massage® ? Des femmes et des hommes de bonne volonté, conscients qu’un acte de massage ne fait pas de miracle. Quant au plaisir ressenti, il fait danser la fibre masculine et féminine en chacun d’entre nous.

Bien-être n’a pas de sexe. À moins qu’il ne cultive les deux ?

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• Tout comme les massages, la danse rassemble les femmes et les hommes de bonne volonté. Les photographies qui jalonnent cette page montrent une danseuse et un danseur professionnels en action lors d'une danse contact improvisation. En massage comme en danse, le toucher sème des graines de liberté.

• Définition du sexisme selon le dictionnaire Le Robert : attitude de discrmination fondée sur le sexe (spécialement, discrimination à l'égard du sexe féminin).

• Le pouvoir du toucher : un épisode de l'émission La tête au carré sur France Inter le 3 février 2016.

• Série Touchés, massés sur France Culture : des masseuses et des masseurs proposent leurs services à des sans-abri.

* Voici le protocole précis de l’expérience : dans une pièce, 6 masseuses et 6 masseurs vont prodiguer 12 massages successifs d’une durée de dix minutes sur 12 cobayes allongés sur une table de massage avec un bandeau sur les yeux. Ces 12 cobayes sont 6 femmes et 6 hommes. Ils vont recevoir tour à tour 12 massages prodigués soit par une masseuse, soit par un masseur.

À l’issue de chaque séquence de massage de dix minutes, le cobaye indique s’il pense avoir été massé par une femme ou par un homme. Une seule certitude : chaque cobaye sera massé par 6 femmes et par 6 hommes au cours de l’expérience. Cela donne au total 144 séquences de massage qui se concluent à chaque fois par la même question : « pensez-vous avoir été massé·e par une femme ou par un homme ? »

Avec 6 masseuses et 6 masseurs dans la pièce, chaque cobaye a donc 50 % de chances d'avoir raison, 50 % de chances de s'être trompé.

Bilan de l’expérience : sur 144 séquences de massages enregistrées, les cobayes se sont trompés une fois sur deux.

Conclusion : les yeux bandés, une personne est dans l’incapacité de savoir si elle est massée par une femme ou par un homme, dès lors que la ou le professionnel possède une formation et un bagage technique aux massages. Fin des préjugés sexistes sur le massage « féminin » et sur le massage « masculin ».