La bête qui nous prenait par la main

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« Enfant hyperactif » : ce n’est pas marqué sur le front de Maggie. Mais tout le monde la voit ainsi : à la maison, à l’école, au centre de loisirs. Le jour de son huitième anniversaire, l’enfant fabrique des jeux pour Mousse, une chienne de race Berger australien. Ici un tiroir à ouvrir. Là une porte à pousser. Ailleurs une trappe à coulisser. Une heure durant l’animal se prête au jeu, d’autant que la nourriture embaume dans une cachette. Assise dans le jardin Maggie observe la chienne, l'air concentré.

Quand deux parents sont de retour, ils n’en croient pas leurs yeux : main calée sous le menton, leur fille est aussi immobile qu’une statue.

Nous sommes dans une maison à Bedous où, à l’arrière, cohabitent 25 animaux : chiens, chats, chevaux, lapins, poules, cochons d’Inde. Tous ont trouvé refuge chez Chloé Brinon après une vie de galères, parfois de maltraitances. Tel ce cheval de 25 ans qui servit de bête de foire au Pays basque avant d’être recueilli par une association, puis confié à une professionnelle du soin : celui des animaux ; celui des humains.

Voilà vingt ans que Chloé Brinon consacre sa vie à un mystère : la relation entre les humains et les animaux. Pourquoi un cheval rue-t-il sans crier gare, faisant chuter sa cavalière ? Pourquoi une frêle mamie opte-t-elle pour un molosse - un chien Malinois - pour sortir, suscitant la crainte des piétons ? Pourquoi un chat refuse-t-il de se laisser approcher ? Pourquoi un mari et une femme font-ils un portrait si différent de leur animal domestique, dès que l’un et l’autre en parlent séparément ? À chaque fois quelque chose se trame, mais au-delà des mots.

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À l’hôpital de Bayonne sept enfants ont du mal à parler, affaiblis par la maladie. Lors d’un appel à projets, l’équipe d'animation a écarté les intervenants canins pour une médiatrice et son quatuor de poules. En compagnie de Chloé Brinon, le groupe d'enfants observe les volailles : leurs oreilles cachées, leurs pattes écaillées, deux yeux indépendants. Et surtout l’amour inconditionnel pour les poussins, même quand ce ne sont pas les siens. Les poules, qui ont les dinosaures pour ancêtres, profitent d’une vie de courte durée.

Entre les enfants malades et les volailles se tisse un lien. Avec un sac de graines et un zeste de compréhension, une histoire s’écrit entre quatre murs blancs. Soudain, une poule tourne sa tête à 180°. L’un des enfants tente de l’imiter. Un autre observe les oiseaux dans le parc, puis se dessine avec deux ailes géantes.

Et à la crèche ? Chloé Brinon arrive avec des lépidoptères. De l’œuf au papillon en passant par la chenille, l'intervenante en médiation animalière déroule le fil du temps. Quand l'œuf devient chenille, les enfants se mettent à l'imiter. Mais la chenille se révèle la virtuose de l'agilité. Et quand les enfants s’éveillent après la sieste ? Alors le papillon prend son envol.

Observer des truites avec des personnes handicapées. Présenter des lapins aux personnes âgées. Redécouvrir le ver de terre avec des malades d’Alzheimer. Parler sexualité avec des adolescents en présence de gallinacés. De Gurmençon à Borce en passant par Tarbes et Bayonne, Chloé Brinon fait vibrer la corde sensible entre le monde animal et le monde humain.

Par choix, elle travaille avec des animaux que l'existence a cabossés. Comme pour mieux souligner l’effet miroir entre les galères de chacun.

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Ainsi, le public découvre qu’un chat peut avoir des émotions, un chien des problèmes digestifs, un cheval des névroses. Un ver de terre dénué de cerveau mais vital pour la Planète fait prendre conscience qu’un malade d’Alzheimer garde sa place pour faire société. Un couple d’oiseaux devient une allégorie sur l’amour, mais aussi un support pour parler sexualité avec des adolescents victimes d’inceste : ils ont trouvé refuge dans un centre d’accueil.

Et puis des femmes et des hommes sollicitent Chloé Brinon à titre individuel. Une psychologue ayant perdu le goût de parler tente de renouer du lien avec les animaux. Idem pour un patient qui sort d’un traitement contre le cancer. Ou un enfant qui présente des troubles autistiques. Les séances se déroulent au jardin parmi chiens, chats, poules, cochons d’Inde. Ou au pré avec les chevaux.

Justement, la cavalière qui a chuté de cheval après une ruade sonne à la porte. Avec l’aide de Chloé Brinon, elle cherche à comprendre ce qui s’est passé. Le mors. La selle. Les coups de talon sur les flancs. Peu à peu, la cavalière comprend que ce jour là, elle a ignoré le stress d’un animal qui sortait d’un box trop exigu et n’espérait qu’une chose : galoper avec ses congénères en liberté. Peu à peu, une peur se dissipe. La confiance est de retour avec des cavaliers qui enfourchent leur monture avec une conscience toute neuve du lien avec l'équidé.

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Alors la corde qui relie humain et animal fait entendre une autre musique. Pourquoi gaver son animal de compagnie tout en avalant un paquet de biscuits ? Pourquoi le chien se montre-t-il agressif dès qu’une injustice nous met à cran ? Pourquoi détester l’indépendance du chat quand une personne nous manque ? Pourquoi une chienne qui boude nous agace ? Pourquoi choisir une femelle au lieu d’un mâle, ou vice-versa ? D’émotion en émotion, un récit s’ébauche entre les espèces. Avec des mots, des jeux, de l'observation, Chloé Brinon invite les humains à une prise de conscience : « Tout ce que nous projetons sur les animaux fait écho à quelque chose qui nous travaille. Nous sommes les uns les autres en résonance. »

À leur manière, les animaux révèlent notre part d’humanité.

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Dès l’âge de 7 ans, Chloé Brinon vit aux côtés des animaux : elle s’engage comme bénévole à la SPA d’Orléans. Le mercredi et le week-end, elle quitte sans regret l'appartement HLM pour un refuge animalier qui devient sa maison. À 17 ans, elle devient surveillante d’internat au lycée agricole de Vendôme. Après l’accord de l'équipe éducative, elle bâtit ses premiers projets pédagogiques avec des vaches et des chauves-souris.

Travailler auprès des animaux, mais sous quel angle ? Jeune adulte, Chloé Brinon tâtonne. Elle ne se voit ni vachère, ni vétérinaire. Elle ne s’imagine pas non plus dans une animalerie ou un zoo. La voilà dans les Pyrénées orientales où elle travaille sur les lynx au Parc animalier des Angles. Le contrat est précaire, aussi elle saute sur l’occasion quand un poste de soigneur animalier est à pourvoir à Borce, en Vallée d’Aspe. Cap sur le parc animalier Parc’Ours et la faune sauvage des Pyrénées. En 2009, elle en devient directrice.

Sept années durant, elle va y développer des actions innovantes qui favorisent la compréhension mutuelle entre humains et animaux. En tant que refuge, Parc’Ours accueille des mammifères en souffrance. Le décès d’un chevreuil ou d’un mouflon devient motif à travailler sur le deuil, avec des publics confrontés à la mort de leurs proches. Par exemple chez les personnes âgées.

En 2016, Chloé Brinon saute le pas : elle s’installe à son compte en tant qu'intervenante en médiation avec les animaux. Une maison avec jardin à Bedous lui tend les bras. Elle y emménage en 2020 avec son compagnon et ses quatre enfants. C’est là qu’elle reçoit les personnes qui choisissent la relation avec le monde animal pour rechercher un mieux-être dans leur vie quotidienne.

Formatrice, Chloé Brinon organise puis encadre des sessions de formation adulte pour des publics en reconversion professionnelle ou qui souhaitent compléter leur formation initiale - infirmière, gendarme, psychologue, vétérinaire, berger.

Elle intervient dans les structures médico-sociales telles que les Ehpad, les foyers de vie, les établissements et services d'aide par le travail (ESAT). Elle intervient aussi dans les établissements médicaux tels que les hôpitaux. Enfin, elle encadre des ateliers pédagogiques de sensibilisation dans les crèches, écoles, collèges, lycées.

Dans un métier qui reste peu structuré, Chloé Brinon bénéficie de l’agrément Qualiopi en tant qu’organisme de formation. Précision : la médiation animale n’entre pas dans la catégorie des thérapies telle que définie par l'État. C'est une piste parmi d’autres ressources pour tendre vers un mieux-être.

• Accès au site de Chloé Brinon
• Tél. 07 68 82 27 36

• Page publiée le 4 avril 2023, mise à jour le 9 septembre 2023. Texte : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Photographies : Chloé Brinon. Tous droits réservés.